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L'objectif de "Territoires zéro chômeur": redonner du travail à tous

Au menu ce jour-là: "poulet sauce arachide, fromage et dessert", un dessert concocté, comme tout le repas, par Philippe Berthier, l'un des 58 employés à Pipriac de Tezea (Territoires zéro chômeur de longue durée), une entreprise expérimentale qui redonne du travail à tous, créée il y a un an.

Ancien restaurateur et hôtelier, Philippe Berthier, 55 ans, a accumulé les intérims avant de se retrouver sans travail pendant deux ans et demi avec seulement le RSA. "Il y a huit mois, j'ai été embauché par Tezea", se réjouit-il, l'oeil pétillant malgré son corps fatigué qui lui vaut le statut de travailleur handicapé. Depuis, il est en CDI et rémunéré sur la base du Smic. Cinq jours sur sept, il prépare le repas de midi dans la modeste cuisine où ses collègues déjeunent. Quand il a fini, il va parfois donner un coup de main à l'atelier "palettes", où d'autres salariés fabriquent des meubles.

En janvier 2017, des expérimentations "Territoires zéro chômeur de longue durée" ont été lancées dans dix secteurs, ruraux ou urbains, dont celui de Pipriac.

Portée initialement par ATD Quart Monde, l'idée est d'y créer des emplois en CDI sur des activités inexistantes bien qu'utiles à la société mais insuffisamment rentables. Le tout sans concurrencer les activités existantes et sans coût supplémentaire pour la collectivité. Il s'agit d'un budget existant (RSA, CMU ou indemnités chômage perçues auparavant par les nouveaux salariés) réaffecté vers un fonds spécifique.

"Tezea perçoit 20.000 euros par an pour un équivalent temps plein (ETP). Or, un ETP nous revient environ à 27.000 euros, en incluant la location des locaux, le coût de fonctionnement de la structure ou l'achat de matériel. Nous devons donc trouver 7.000 euros par personne et par an", généré par le travail effectué, explique Denis Prost, coordonnateur du projet.

A la différence d'une société classique, Tezea, entreprise à but d'emploi (EBE) et non lucrative, ne fait pas le tri parmi les candidats. Pas de CV ou de lettre de motivation à rédiger. Deux sésames pour décrocher un emploi: habiter Pipriac ou la commune voisine de Saint-Ganton, territoire de 4.200 habitants, et être au chômage depuis au moins un an. Ici, c'est le travail qui s'adapte au salarié et non l'inverse.

"Sur ce défi qu'on peut faire travailler tout le monde, on a vraiment des raisons d'être confiants", se félicite Denis Prost.

- "La P'tite camionnette" -

Il faut dire qu'à Pipriac, la mise en oeuvre du projet avait été longuement préparée, au moins deux ans avant l'appel à projet lancé par l'Etat à l'automne 2016, et le lancement de l'opération en janvier 2017.

L'expérience est encadrée par les collectivités, les deux communes, le point accueil emploi (PAE), les entreprises et artisans.

A Tezea, on fait de tout: nettoyage intérieur de voitures ou de vitrines, sécurité aux abords des écoles, désherbage manuel, nettoyage de la signalisation, développement d'une recyclerie, coupe et livraison de bois de chauffage, atelier couture, etc... Depuis septembre, "la P'tite camionnette" parcourt la campagne avec de l'épicerie de base. Elle livre aussi les commandes de viande et poisson préparés par les commerçants, apporte aux personnes isolées des livres de la bibliothèque. Un service de blanchisserie destiné aux gites ruraux s'est créé...

Quant aux salariés, "il n'y a eu aucun abandon" depuis le début. "Seulement une ou deux personnes pour qui c'est un peu plus compliqué. Mais, si on fait preuve de patience, on voit déjà les évolutions", assure le coordonnateur, soulignant que "certains étaient au chômage depuis sept, huit, voire dix ans!"

Sur les 58 salariés, 35% ont plus de 50 ans et deux moins de 26 ans, hommes et femmes pratiquement à égalité.

Arrivée à Pipriac après la mutation de son mari, Josée, 43 ans, s'est vite retrouvée isolée. Elle ne conduit pas, car native de la région parisienne, elle faisait tout par les transports en commun, "ce qui est impossible ici". "C'était dur d'être au chômage, car j'ai toujours été active, dur de ne voir personne. Je passais des heures au téléphone", dit-elle, soulagée d'avoir été embauchée fin novembre. Elle travaille avec une collègue à la création d'un fichier d'artisans qui servira de support à la conciergerie de services que Tezea entend lancer.

"On est en train de démontrer que la question du chômage peut être réglée sur des territoires comme celui-ci. On n'a pas le droit d'échouer parce qu'on est expérimentaux", insiste Denis Prost.

"Les personnes qui étaient au chômage, quand on les revoit six mois après, ne sont plus les mêmes", observe Jean-Claude Lubert, conseiller municipal et membre du conseil d'administration de Tezea.

Quatre nouvelles embauches sont prévues en janvier, quatre en février. Avec l'espoir d'atteindre la centaine de salariés d'ici fin 2018.

Pour accroître ses fonds propres, Tezea vient de lancer un appel au financement participatif. Objectif: réunir 50.000 euros.

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