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L'UE veut doper le stockage de carbone, craintes de "greenwashing"

La Commission européenne a proposé mercredi des normes pour certifier le stockage de carbone, notamment celui absorbé dans les sols agricoles, mais ONG et experts jugent le texte trop vague et dénoncent les risques de "greenwashing".

La proposition, qui fera l'objet de négociations entre eurodéputés et Etats membres, s'intéresse aux techniques de capture et stockage du carbone (CCS): elles supposent de capter le CO2 sur des sites industriels (sidérurgie, cimenterie, chimie, centrales électriques...) pour l'injecter dans des réservoirs géologiques hermétiques.

Mais à côté de cette élimination "permanente", Bruxelles vise également les activités agricoles et de sylviculture permettant de stocker du CO2 dans des prairies, forêts ou tourbières, mais aussi les bâtiments construits en bois.

Pour atteindre la neutralité carbone de l'Europe en 2050, "la réduction drastique de nos émissions est au coeur de nos efforts, mais comme il est impossible de ne rien émettre, il faudra recourir à l'élimination du CO2 de l'atmosphère, que ce soit par des puits de carbone naturels ou des technologies de capture", a indiqué le vice-président de la Commission, Frans Timmermans.

L'exécutif européen entend donc fixer "un cadre de certification (...) crédible" pour "quantifier, surveiller et vérifier les absorptions" et faciliter ainsi les financements ou les aides publiques -- mais également susceptible d'ouvrir la voie à l'obtention et à la vente de crédits sur le marché carbone.

Les absorptions ne pourraient être certifiées que si elles peuvent "être quantifiées avec précision", que si l'activité concernée "va au-delà des pratiques standard et des exigences légales" tout en contribuant à la protection de l'environnement, et si le carbone capturé est stocké sur "le long terme" sous étroite surveillance, explique Bruxelles.

Les modalités exactes de certifications seront déterminées ultérieurement par "un groupe d'experts", selon un communiqué.

-"Bien trop vague"-

La certification est "une brique de base" garantissant aux agriculteurs une incitation financière suffisamment attractive pour les pousser à adopter des pratiques permettant de capturer davantage de CO2, relève Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement au Parlement européen.

"C'est une première étape pour que les Européens prennent au sérieux le stockage de carbone, mais le cadre proposé est bien trop vague quand il s'agit des principes fondamentaux", estime cependant Wijnand Stoefs, de l'ONG Carbon Market Watch. La durée du stockage de "long terme" n'est même pas précisée, a-t-il expliqué à l'AFP.

En guise de garde-fous, l'expert préconise de fixer des objectifs distincts pour l'absorption de carbone et pour la réduction des émissions, et de se concentrer sur le stockage de "haute qualité", celui garanti pour une durée "suffisamment longue": réservoirs géologiques, mais aussi tourbières et écosystèmes complexes.

A contrario, M. Stoefs fustige la distribution de crédits carbone aux agriculteurs: "Comment évaluer combien de carbone ira dans les sols et pour combien de temps? Dans une perspective climatique, il faudrait qu'il y reste au moins 200 ou 300 ans. C'est une promesse que personne ne peut faire".

On mélange des système de capture du carbone "qui ne sont ni comparables, ni interchangeables", soupire Ulriikka Aarnio, de CAN Europe, ajoutant que le texte ne prévient nullement les usages des terres susceptibles de "dégrader davantage les écosystèmes et la biodiversité".

- "Chimère"-

Le changement d'usage d'une terre, l'impact d'inondations ou de sécheresses, un incendie de forêt peuvent faire disparaître un stock de carbone "naturel", abonde Shefali Sharma, directrice Europe de l'Institute for Agricultural and Trade Policy (IATP), pointant aussi les "énormes risques de spéculation foncière et d'accaparement des terres agricoles".

Des géants de l'agrochimie et des énergies fossiles pourraient y voir "une gigantesque opportunité de compenser leurs émissions sans les réduire fondamentalement", indique-t-elle à l'AFP.

"L'idée n'est pas d'affaiblir nos objectifs climatiques, cela vient en surcroît!", a tenté de rassurer mercredi Frans Timmermans, affirmant que le carbone capturé ne se substituerait pas aux réductions d'émissions.

Donner la priorité à la capture du CO2 à grande échelle reste" un fantasme de +greenwashing+", insistait une déclaration initiée lundi par plusieurs ONG (Fern, Friends of the Earth...), signée par quelque 200 organisations.

Le projet "s'appuie sur une justification dangereuse et fausse, qui légitime la poursuite des émissions: l'idée que quelqu'un pourrait dans le futur retirer de l'atmosphère une tonne de carbone émise actuellement", estimait cette déclaration. "Une telle chimère est le moyen le plus sûr de brûler la planète."

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