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La Californie condamnée à rester dans le noir pour éviter les feux de forêt?

La Californie, cinquième puissance économique mondiale mais dotée d'infrastructures électriques vieillissantes et confrontée à des sécheresses chroniques, est-elle condamnée à se priver de courant dès que le drapeau rouge est levé pour les incendies?

"Cela ne peut pas devenir la nouvelle norme. Et il est fallacieux de dire qu'on doit choisir entre ces difficultés et la sécurité", a tranché le gouverneur de Californie Gavin Newsom en réagissant aux coupures préventives qui ont touché depuis mercredi des centaines de milliers de clients dans le nord de l'Etat.

L'opérateur privé Pacific Gas & Electric (PG&E), qui fournit en électricité 5,4 millions de clients dans le nord et le centre de la Californie, avait décrété ces coupures en raison de prévisions météorologiques propices à des feux de forêt violents, déchaînant une vague de critiques.

Avant de rétablir l'électricité, PG&E doit inspecter électroniquement et visuellement les lignes concernées. Et même avec 6.300 employés dédiés et des hélicoptères, cela pourrait prendre jusqu'à cinq jours.

"Nous comprenons l'impact qu'a une coupure de courant pour nos clients. Ce n'est pas une décision que nous prenons à la légère", a assuré à la presse Sumeet Singh, responsable du programme de prévention des feux de forêt au sein de l'entreprise.

Les installations vétustes de l'opérateur ont été mises en cause à plusieurs reprises ces dernières années dans des feux de forêt dévastateurs et ont contribué à sa mise en faillite au début de l'année.

C'est une étincelle provoquée par une de ses lignes à haute tension qui a déclenché en novembre 2018 l'incendie le plus meurtrier de l'histoire de l'Etat: 86 morts et 18.000 bâtiments détruits dans la région de Paradise. PG&E a déjà accepté de verser 11 milliards de dollars aux sociétés qui assuraient les victimes.

- Changement climatique et cupidité -

Le gouverneur Newsom ne critique pas en soi les coupures préventives de PG&E, reconnaissant qu'elles font partie des "bonnes pratiques" de l'industrie.

Il reproche surtout à l'opérateur --le plus important de l'Etat-- d'avoir attendu des décennies avant de se soucier d'investir dans la modernisation de son réseau.

Ces manquements expliquent selon lui que PG&E soit obligé aujourd'hui de plonger dans le noir un à deux millions d'habitants d'un seul coup plutôt que de couper le courant de manière ciblée, comme d'autres opérateurs le font depuis déjà plus de dix ans dans le sud de la Californie.

A San Diego, l'opérateur local dispose ainsi d'un maillage de lignes formant comme un quadrillage, avec des "circuits" desservant généralement 1.000 à 7.000 clients. Dans le nord, PG&E a un réseau "radial" dans lequel une seule ligne électrique relie une zone, s'étendant parfois sur une très longue distance.

"De mon point de vue, ce n'est pas tant une histoire liée au changement climatique qu'une histoire de cupidité et de mauvaise gestion", a accusé M. Newsom.

Le PDG de PG&E, William Johnson, a présenté ses excuses jeudi soir, reconnaissant l'impréparation de ses équipes.

"Nous devons avoir une approche plus +chirurgicale+", mais d'autres coupures interviendront si les conditions météo l'exigent, a-t-il prévenu.

"C'est un très gros inconvénient et c'est extrêmement coûteux, mais nous pouvons faire des ajustements qui répondent à ces situations pour un coût bien moindre", a estimé sur la radio NPR Severin Borenstein, économiste expert en politique énergétique, lui-même touché par les coupures.

"Cela passe en partie par un renforcement du réseau, une meilleure gestion de la végétation, la surveillance des lignes" à l'aide de caméras dans des zones à risques, estime-t-il.

Même avec des dizaines de milliards de dollars d'investissements, des coupures resteront inévitables, estime Mikhail Chester, qui enseigne l'ingénierie durable à l'université d'Arizona.

Dans les économies développées, on attend des infrastructures qu'elles soient "fiables à 100%", mais "nous sommes arrivés à un point de tension tel qu'il faut accepter que cette fiabilité soit remise en cause de plus en plus souvent".

"En fait, ce n'est pas si inhabituel", abonde M. Borenstein. "Si vous vivez dans le sud-est (des Etats-Unis), vous avez souvent à faire face au risque d'ouragans, dans le Midwest vous subissez de terribles tempêtes de neige et ça perturbe votre vie".

"Nous avons été drôlement chanceux en Californie" jusqu'à présent, mais au moins pendant les quelques années à venir, "nous allons devoir prendre la menace des incendies au sérieux et subir des perturbations quelques jours par an", conclut l'expert.

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