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La controverse sur la chasse tourne à "la guerre de religion", selon un anthropologue

Le débat très virulent entre pro et antichasse en France tourne quasiment à la "guerre de religion", estime l'anthropologue italien Sergio dalla Bernardina, déplorant que les deux parties ne parviennent plus à trouver un langage commun.

Q: Comment évoluent les représentations sur la chasse ?

R: "La figure du chasseur a été extrêmement populaire pendant des siècles: que l'on pense aux traités de chasse au Moyen Age, aux peintres animaliers des XVIIe et XVIIIe siècles, aux écrivains comme Karen Blixen, Ernest Hemingway, Jack London...

C'était toujours vrai il y a encore une quarantaine d'années. Je pense par exemple à l'Almanach du chasseur, représenté comme un homme joyeux et honnête, qui faisait le tour du village pour montrer son gibier, dans la liesse. Dans l'imaginaire collectif, le chasseur, c'est celui qui éloigne la sauvagerie, celui qui sauve le Petit Chaperon Rouge.

Tout a changé à partir du moment où nous avons commencé à comprendre que la nature est en danger. La nature sauvage, pendant des siècles, c'était l'ennemi, la pourriture, la vermine, une entité envahissante et proliférante mettant en danger le travail de domestication des hommes.

Et puis c'est devenu quelque chose de rare et de précieux, qu'il faut protéger.

Et le chasseur est devenu une figure très négative".

Q: Comment expliquez-vous la tension en France entre pro et antichasse ?

R: "Le débat devient de plus en plus hystérique, quasiment une guerre de religion. Les deux camps se caricaturent, ne sont plus capables de trouver un langage commun. Or, derrière ce conflit il y a toute une série de questions fondamentales.

Quelle est la bonne manière de gérer la nature sauvage?

Les chasseurs, qui se prétendent +les premiers écolos de France+, disent: pour protéger il faut intervenir, réguler, gérer, alors que les +écologistes+ au sens large disent, non, la nature a besoin d'être laissée tranquille, elle s'autogère, s'il y a trop de cerfs ou de chevreuils, on va laisser les loups s'en charger.

L'autre sujet fondamental, c'est le thème de la souffrance animale, le fait que la frontière entre humain et animal est devenue très ténue.

Toute mise à mort devient un +animalicide+. Il y a aussi une sorte de +mise en religion+ de la nature sauvage. Désormais, les animaux sauvages sont aussi vénérés, idolâtrés. Lorsqu'on repère dans les Alpes italiennes un bouquetin albinos, ah, miracle, c'est comme si on avait vu apparaître la Sainte Vierge. Entendre le chant du loup la nuit ou le brame du cerf devient une expérience mystique.

Enfin il y a la question de la mise en tourisme et du commerce de la nature sauvage, et de savoir qui en est propriétaire".

Q: Les tensions autour de la chasse constituent-elles un débat très français ?

R: "Je dirais qu'au niveau européen, il y a de grandes différences entre le Nord et le Sud. Le Sud a été plutôt sylvophobe, un peu hostile à la forêt, alors que les sociétés germaniques l'ont toujours considérée davantage comme une ressource. Dans le Sud, le gibier est considéré comme n'appartenant à personne, on peut faire ce qu'on veut. Dans le Nord, c'est un bien, une ressource commune. Ce sont des différences de culture.

Les tensions entre pro et antichasse existent bien sûr dans les autres pays, comme chez moi en Italie, mais j'ai l'impression que l'association de la chasse et du pouvoir est très présente dans l'imaginaire français. C'est un argument électoral important.

Derrière cet enjeu de "la chasse", il y a aussi l'identification à la ruralité, le terroir, l'authenticité, face à des urbains ou des "néo-ruraux" parfois perçus comme des néocolonialistes".

Propos recueillis par Cécile FEUILLATRE

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