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La nouvelle vie des faïences artistiques Bordallo Pinheiro

De fines cloisons protègent les ouvriers de l'atelier de peinture du bruit des travaux d'agrandissement. A la fabrique de faïences Bordallo Pinheiro, on se relaie jour et nuit pour tenir un carnet de commandes qui ne cesse de grossir, surtout à l'international.

Des services de table imitant des feuilles de chou, des ananas ou des poissons, des pichets d'eau en forme de chat ou de chien, des soupières qui ressemblent à des potirons ou à des fraises... le réalisme de ces objets aux couleurs vives et aux reliefs généreux défie l'imagination.

Au bord de la faillite quand elle a été rachetée en 2009, l'entreprise fondée en 1884 à Caldas da Rainha, dans le centre du Portugal, a depuis triplé son chiffre d'affaires et s'apprête à augmenter sa production de 60% afin de profiter de l'engouement pour son surprenant catalogue.

Longtemps rangées sur les étagères de l'artisanat local un peu kitsch, ces "faïences artistiques" sont désormais un phénomène de mode certifié par le magazine londonien de style de vie Monocle, qui leur a consacré plusieurs pages en mai.

Il y a dix ans, pourtant, la société était menacée par la concurrence chinoise et la vague de délocalisations qui a emporté plusieurs entreprises de la région.

Licenciements, salaires payés en retard, Victor Formiga se souvient bien de ces "jours difficiles". A 56 ans, il en a passé 36 à la fabrique Bordallo, où il est actuellement chef de l'équipe chargée des moules dans lesquels l'argile est coulée avant d'être cuite, peinte et plongée dans un vernis transparent.

"Aujourd'hui, ça va bien mieux, cet essor nous rend fier et j'espère que ça va durer", témoigne-t-il.

- Fabrication artisanale -

La méthode de fabrication restera entièrement artisanale même après l'agrandissement de l'usine, actuellement située dans les faubourgs industriels de Caldas da Rainha tandis que l'ancien site, plus central, a été transformé en musée et en magasin.

"Bordallo restera une sorte d'atelier géant. Nous souhaitons faire honneur à notre histoire, en faisant un travail presque entièrement manuel", assure le directeur industriel Tiago Mendes.

A l'exception de certains plats moulés par une presse automatique, les pièces de céramique sont fabriquées à la main. Pour produire un régime de bananes, une édition limitée à 125 exemplaires vendue 2.100 euros, chacun des 70 fruits qui la composent doivent être collés un à un, avec minutie.

En 2009, Bordallo Pinheiro a été racheté par le groupe industriel portugais Visabeira, qui possède aussi la fabrique de porcelaine Vista Alegre, et a pu bénéficier de son réseau de distribution.

"Après une première phase de réorganisation, nous entrons dans la phase de croissance", explique à l'AFP l'administrateur Nuno Barra. La fabrique, qui employait quelque 180 personnes à l'époque de son rachat, devrait compter 255 salariés quand les travaux d'agrandissement seront terminés.

Bordallo entend ouvrir ses premières boutiques à l'étranger d'ici la fin de l'année, à Madrid et Paris, et exporter à terme les trois quarts de sa production, contre près de la moitié actuellement.

- "Génie créatif" -

"Nous avons beaucoup misé sur la marque et la qualité du produit, qui continue d'être fabriqué selon les orientations de l'artiste qui est à l'origine de tout cela: Raphael Bordallo Pinheiro", précise M. Barra.

Journaliste et caricaturiste qui a marqué la société portugaise du XIXe siècle, le fondateur des faïences Bordallo Pinheiro s'est installé à Caldas da Rainha pour ses eaux thermales, mais y a découvert une nouvelle vocation: "Il a été séduit par l'alchimie de la céramique car il y a trouvé un moyen d'exprimer son génie créatif" au sein d'une région riche en argile de bonne qualité et en savoir-faire traditionnel, raconte la directrice artistique Elsa Rebelo.

Créateur infatigable inspiré par les peintres naturalistes, son oeuvre est également redevable au céramiste français de la Renaissance Bernard Palissy.

Bordallo Pinheiro a ainsi créé des objets aussi populaires qu'une hirondelle que l'on trouve aux portes des maisons du Portugal, ou aussi singuliers que son vase Beethoven, monument baroque de 2,6 mètres de haut exposé au Musée national des beaux-arts de Rio de Janeiro, au Brésil.

Avec son sens de l'humour, il a également inventé la figure allégorique du "Zé Povinho", petit bonhomme truculent faisant un bras d'honneur censé représenter le petit peuple portugais.

Son oeuvre a été récupérée par des artistes contemporains comme la Portugaise Joana Vasconcelos.

Quand l'usine était au bord de la faillite, cette artiste lui a passé d'importantes commandes pour utiliser les pièces de céramique dans ses propres œuvres.

Elle est ensuite devenue une des designers de Bordallo, avec d'autres créateurs portugais ou brésiliens, qui ont contribué a faire connaître ses produits à une nouvelle clientèle, plus jeune et plus branchée.

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