Accueil Actu

Lactalis ébranlé par la crise, mais pas coulé

La crise des laits infantiles contaminés abîme sévèrement l'image du groupe Lactalis, accusé par le gouvernement d'avoir "gravement failli" à ses obligations, mais le géant laitier aux marques fortes conserve beaucoup d'atouts pour surmonter ses difficultés.

Lactalis a finalement annoncé la semaine dernière, après plusieurs semaines de crise, le retrait total de tous les laits infantiles sortis de l'usine de Craon en Mayenne - pas moins de 12 millions de boîtes -, pour cause de risque de contamination aux salmonelles.

Le PDG du groupe, le très secret Emmanuel Besnier, a en outre dû sortir de l'ombre pour promettre d'indemniser "toutes les familles qui ont subi un préjudice". Pour les spécialistes de l'image de marque, le géant laitier au 17 milliards d'euros de chiffre d'affaires peut encore redresser la barre après cet épisode désastreux pour sa réputation.

En cas d'accident industriel sur une marque, "les consommateurs portent un regard sévère à l'instant T", souligne Flavien Neuvy, économiste à l'Observatoire Cetelem.

"Mais à plus long terme, les conséquences sont faibles, voire nulles" si l'entreprise est capable de les rassurer et de leur démontrer que le problème ne se reproduira plus, affirme-t-il.

Les marques comme Findus concernées par le scandale de la viande de cheval en 2013 s'en sont remises, comme Volkswagen s'est remis, d'un point de vue commercial, du scandale de la manipulation sur les émissions polluantes, souligne-t-il.

Le groupe est d'autant plus protégé sur le plan de son image que ses marques sont totalement dissociées du nom Lactalis.

Les boîtes de camembert Président, de mozzarella Galbani ou les briques de lait Lactel ne portent aucune mention Lactalis, rendant difficile pour les consommateurs d'établir un lien avec le groupe dans la tourmente.

"Le consommateur fait son achat dans le magasin, et n'a pas en tête" à qui appartient la marque qu'il achète, explique Amaury Bessard, spécialiste de la communication de crise au sein du cabinet Shan et ancien directeur de la communication de l'Association nationale des industries agroalimentaires (Ania).

Ce diagnostic est confirmé par un distributeur interrogé par l'AFP: "pour l'instant, nous constatons peu d'impact sur les ventes des produits Lactalis, et étonnamment peu de questions de la part des consommateurs. Mais cela peut s'expliquer par une connaissance des marques du groupe par le public quasi nulle, la société +profitant+ du fait que son nom n'est associé à aucun d'entre eux".

De toute façon, il n'est pas certain que les consommateurs aient réellement envie de faire payer aux autres marques du groupe sa défaillance sur les laits pour bébés, malgré le caractère sensible de ces produits.

- Restaurer une image écornée -

La "culture du boycott n'existe pas en France", à la différence des pays anglo-saxons ou des pays nordiques, explique Jean-Noël Kapferer, professeur (HEC, Inseec) et spécialiste des marques.

En France et dans le sud de l'Europe, "on est des pays de plaisir: si vous adorez le camembert Président, il faut vraiment être très très militant pour dire +je vais me priver du camembert Président+ parce que je déteste Lactalis".

M. Kapferer estime même que Lactalis aura intérêt à relancer les marques Picot et Milumel, aujourd'hui retirées des rayons, car "recréer de nouvelles marques coûterait plus cher". "Il vaut mieux relancer" les marques touchées "avec un PDG qui est enfin sorti du bois et qui dit +on a identifié le problème et on va le résoudre+", poursuit-il.

Reste que la crise va coûter cher à Lactalis, pas seulement en termes d'impact commercial, mais aussi en termes de confiance perdue avec tous les acteurs institutionnels, comme par exemple les préfectures ou les services vétérinaires locaux, rappelle M. Kapferer.

"Les enjeux et polémiques de réputation s'accumulent" pour Lactalis, relève également Amaury Bessard, en rappelant que le groupe laitier s'est souvent retrouvé en position d'accusé récemment, notamment par les agriculteurs qui lui reprochent d'abuser de sa position de force pour sous-payer le lait.

Le groupe, réputé pour sa culture du secret, aurait donc intérêt à mener une "mue" de sa communication pour restaurer son image écornée, souligne Amaury Bessard.

"On ne peut pas être un acteur dominant en vivant caché", estime Jean-Noël Kapferer pour qui "il ne s'agit pas" de s'exposer en permanence devant le public, mais "d'assumer et de mettre un visage devant un très grand industriel".

À lire aussi

Sélectionné pour vous