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Le Japon, pionnier du paiement électronique, mais accro aux billets

Dans un pittoresque quartier commerçant de Tokyo, un petit écriteau incite le client à payer via son mobile. Mais ici, beaucoup préfèrent les espèces sonnantes et trébuchantes, jugées plus tangibles que le "cashless".

Le gouvernement japonais voudrait doubler la part des transactions électroniques à 40% d'ici à 2025. Le pays est en effet loin derrière d'autres puissances économiques. En Corée du Sud, le ratio s'élève déjà à 90%, selon Yuki Fukumoto, chercheur à l'institut NLI de Tokyo.

Les récents déboires du géant de la distribution dans l'archipel, Seven & I Holdings, ne vont pas arranger les choses. Son système 7Pay de paiement par QR code a dû être abandonné à la suite d'un piratage.

C'est d'autant plus dommage que les Japonais connaissent depuis déjà une quinzaine d'années l'argent virtuel, via des porte-monnaie à puces sans contact (Felica, de Sony), insérées dans une carte en plastique ou dans le mobile: le client paie en effleurant le terminal.

Les précurseurs ont été le "pass" de transport ferroviaire Suica et ses dérivés, ou les cartes de fidélité/porte-monnaie des géants de la distribution (Nanaco chez Seven & Holdings, Waon chez Aeon).

Ces cartes sont cependant souvent utilisées pour des petits paiements de quelques centaines de yens (quelques euros). Paradoxalement, pour des montants plus élevés, les Japonais sortent les liasses de billets!

- "2 à 3 clients par semaine" -

Mais un tel attachement au "liquide" coûte cher: 2.000 milliards de yens (16 milliards d'euros) pour gérer les distributeurs et transporter l'argent, selon une étude du Boston Consulting Group citée par le quotidien Nikkei. Sans compter la main-d'oeuvre requise, au moment où le pays manque pourtant de bras.

Même si le PDG de la galerie marchande en ligne Rakuten, Hiroshi Mikitani, prédit une disparition totale des pièces et billets, les gérants des systèmes de paiement dématérialisés rongent leur frein. C'est que contrairement au liquide anonyme qui ne laisse pas de trace, leurs technologies sont un moyen de collecter pléthore de données sur les habitudes d'achats des utilisateurs.

Les services, souvent basés sur les QR code, ces codes-barres en deux dimensions créés par la société nippone Denso Wave, se sont multipliés ces derniers mois au Japon.

Dans une boutique de réparation de bicyclettes, PayPay - né d'une co-entreprise entre SoftBank Corp et Yahoo - est testé depuis l'an dernier.

Le principe est simple: le client, qui a au préalable téléchargé l'application et enregistré ses données bancaires, approche son mobile pour scanner le QR code du commerçant, saisir la somme et régler ainsi son achat.

Mais le propriétaire de l'établissement, Katsuyuki Hasegawa, est sceptique. "Personnellement, je préfère le liquide. Avec PayPay, on ne se rend pas compte des flux d'argent", témoigne-t-il, précisant que seulement deux à trois clients par semaine paient ainsi.

Avec ce moyen, les clients "craignent de trop dépenser" sans vraiment s'en rendre compte, selon l'expert de NLI.

- Alléchantes ristournes -

"Dans un endroit comme ici, tout est très lent, nous avons beaucoup de gens âgés qui discutent avec nous et, tout en bavardant, sortent leurs pièces. Ils n'ont pas besoin de transactions rapides", explique le commerçant de 40 ans, un regard sur la ruelle où les mamies déambulent.

"Du fait du vieillissement de la société, les nouveautés mettent du temps à être adoptées. Le défi à partir de maintenant, c'est de savoir comment motiver" les gens pour qu'ils renoncent aux pièces et billets de banque, souligne un expert du Nomura Research Institute (NRI).

Pourquoi abandonner les espèces dans un pays où l'on ne risque pas les vols à l'arraché, où la contrefaçon de billets est rare, où les distributeurs sont partout et où les petites boutiques n'acceptent souvent que le liquide pour s'éviter de coûteux frais de transaction ?

Pour y parvenir, il faut accorder des récompenses, auxquelles les Japonais sont très sensibles, via un système de points ou de ristournes, préconise Akiko Yamanaka, qui tient un coquet restaurant, "Koguma" (ourson), dans une vieille maison en bois.

Cet été, "le client qui paie via PayPay reçoit une réduction de 10% sur l'addition", et cela attire du monde, explique-t-elle, estimant que "plus il y aura de campagnes de ce type, plus les gens se convertiront au cashless".

Le gouvernement aussi veut croire à l'attractivité des ristournes: pour faire digérer la hausse de TVA prévue en octobre, il va rembourser une partie de leurs achats aux consommateurs sous forme de points quand ils paieront de façon électronique à compter d'octobre.

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