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Le Premier ministre tchèque devrait survivre aux manifestations de masse

Le Premier ministre milliardaire tchèque Andrej Babis, dans le viseur de Bruxelles qui le soupçonne de détournement de fonds, devrait rester au pouvoir, du moins dans l'immédiat, ont estimé lundi des analystes au lendemain d'une manifestation géante pour réclamer sa démission.

Avec plus d'un quart de million de participants - 283.000 selon l'opérateur de téléphonie mobile T-Mobile - il s'est agi de la plus grande foule jamais vue depuis la chute du communisme.

L'homme d'affaires de 64 ans d'origine slovaque, fondateur du géant de l'agro-alimentaire Agrofert, a été inculpé l'an dernier de détournement de deux millions d'euros de fonds européens par la justice de son pays.

Et, selon deux audits commandés par la Commission Européenne, qui lui réclame de rembourser 17,4 millions d'euros de subventions indument perçues selon la presse, il serait en situation de conflit d'intérêt en raison de sa double casquette d'homme politique et d'entrepreneur.

- "Combien de temps ?" -

"Babis survivra. Reste à savoir pendant combien de temps", a déclaré à l'AFP l'analyste indépendant Jiri Pehe.

"Les rassemblements changent fondamentalement la dynamique sociale du pays. Avec le temps, ils changeront la dynamique politique aussi", a-t-il ajouté, relevant que les jeunes étaient majoritaires parmi les manifestants réunis là où le dissident et futur président Vaclav Havel s'était adressé en novembre 1989 à des centaines de milliers de Tchèques retrouvant la liberté.

Les jeunes "se sont rendus compte que la génération post-communiste de politiciens tels que Babis et le président (Milos) Zeman est en train de voler leur avenir", a-t-il poursuivi.

Les protestations "posent un problème à Babis car ils nuisent à son image, mais elles ne le pousseront pas à démissionner", confirme l'analyste politique Tomas Lebeda à l'agence CTK.

A court terme, les vacances d'été vont lui donner un certain répit : les organisateurs de la manifestation - l'ONG Million de moments pour la démocratie - ont annoncé la tenue d'un nouveau rassemblement le 16 novembre prochain, la veille du 30e anniversaire de la Révolution de Velours qui avait mis fin à quatre décennies de régime communiste.

Deuxième fortune du pays selon Forbes, et fondateur du mouvement populiste ANO, M. Babis est à la tête d'un gouvernement minoritaire, formé avec les sociaux-démocrates et soutenu tacitement par les communistes.

Son gouvernement affrontera mercredi une motion de défiance, déposée par l'opposition, mais qui semble vouée à l'échec. Les adversaires du Premier ministre invoquent aussi à son égard des soupçons de collaboration avec l'ancienne police politique communiste tchécoslovaque.

- Soutien stable -

M. Babis, qui rejette toutes ces allégations, a déclaré dimanche qu'il ne comprenait pas les protestations. "Un défilé de gens qui parlent haut et fort d'indépendance de la justice, mais m'envoient directement en prison", a-t-il commenté.

"Il semble que plus vous dépensez de l'argent et plus les gens sont mécontents. C'est une situation bizarre", a-t-il dit en allusion à l'augmentation des dépenses sociales et des retraites intervenue sous son mandat.

Malgré les problèmes de son chef, ANO, qui a remporté les législatives en 2017 après une campagne axée sur la lutte contre la corruption, bénéficie d'un soutien stable d'environ 30% des Tchèques dans les sondages d'opinion.

Le mouvement est également arrivé en tête des élections au Parlement Européen en mai, totalisant 21,18% des suffrages.

La manifestation de dimanche était la dernière d'une série de rassemblements dirigés tant contre M. Babis que contre sa nouvelle ministre de la Justice, Marie Benesova, que ses adversaires soupçonnent de vouloir freiner ou bloquer les poursuites contre le milliardaire.

Début juin, ils étaient déjà 100.000 à Prague à réclamer leur démission aux cris de "nous ne sommes pas à l'Est" ou "renversez le gouvernement et sauvez la planète".

Babis mise sur les électeurs âgés, mais on se demande combien de temps il tiendra face "à cette énergie et cette assurance des protestataires", a dit Pehe.

Il pense que son dynamisme impressionnera aussi les sociaux-démocrates et même les communistes, qui finiront par craindre de ne pas entrer au parlement aux prochaines législatives s'ils continuent à soutenir M. Babis.

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