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Le trafic de cigarettes, un "business" attractif à l'heure du paquet à dix euros

"Non-stop", "structurée" et "beaucoup moins risquée" que celle des stupéfiants: la vente de cigarettes de contrebande, établie surtout au nord de Paris et sa proche banlieue, est une activité prospère pour les trafiquants, enhardis par les hausses du prix du tabac.

"Quatre euros !", "Cinq euros !", répètent une rangée d'hommes, paquets de cigarettes bien visibles, sur une place fréquentée de Saint-Denis en plein après-midi.

Dans cette ville défavorisée de quelque 111.000 habitants en Seine-Saint-Denis, haut lieu de la vente à la sauvette, ces petites mains alpaguent le chaland sans se cacher et écouleront leur maigre stock avant l'arrivée de la police, dont la présence suffit à les faire détaler.

Les transactions s’opèrent également en "drive-in": l'automobiliste n'a même pas besoin de sortir de son véhicule pour récupérer ses achats.

"Le trafic se renforce à chaque fois que le prix du tabac augmente", souligne-t-on du côté des autorités. Au 1er mars, le prix du paquet de Marlboro, le plus vendu en France, atteindra la barre symbolique des dix euros.

Les "boîtes" ("cartons" de cartouches, dans le jargon) de contrebande proviennent d'Europe de l'Est ou du Maghreb. La bonne marchandise s'écoule jusqu'à six euros le paquet: "A quatre euros, c'est du foin, un truc dégueulasse", tranche cette source.

Dernier maillon du trafic, "les fourmis" sont de simples "tâcherons" et en grande majorité des sans-papiers, explique-t-elle.

"Les gars qui font ça sont dans la dèche", confie Youssef, un Algérien de 27 ans en situation irrégulière, lui-même vendeur depuis six mois près de la gare de Saint-Denis.

"Les bons mois je fais 500, 600 euros. Je paie le loyer, je mange et j'envoie 150 euros au bled", énumère ce père de famille, dont l’œil droit porte les stigmates d'une récente agression. Maintenant il fait des horaires de bureau: "14H00-17H00. Je vends plus la nuit... c'est dangereux."

Dans la ville voisine de La Courneuve, un jeune homme de 19 ans a été tué par arme blanche jeudi soir au cours d'une rixe entre vendeurs de cigarettes à la sauvette.

- Un euro par paquet -

En 2019, la douane française a saisi environ 360 tonnes de tabac et cigarettes de contrebande - un record - soit 162 millions d'euros siphonnés par les circuits clandestins.

Dans ce monde interlope, les trafiquants de cigarettes diffèrent des dealers de stupéfiants. "Ce ne sont pas les mêmes logistiques, pas les mêmes réseaux. Ça rapporte moins mais c'est régulier, non-stop", analyse une source.

Si Youssef tait l'identité de son fournisseur, il garantit ne tirer qu'un euro de bénéfice par paquet vendu.

A Saint-Denis, des policiers sont mobilisés pour interpeller les vendeurs et remonter les réseaux, mais aussi sanctionner les acheteurs, passibles d'une contravention de 135 euros. Des contrôles renforcés sont aussi réalisés dans le nord-est de Paris.

Le trafic s'organise selon un schéma pyramidal classique: vendeurs, responsables de points de vente, ravitailleurs, intermédiaires et grossistes. Les stocks sont cachés dans des parkings, des locaux d'entreprise ou au vert, dans des pavillons privés.

"Il se concentre sur la petite couronne", dans des villes de fort passage, commente un policier du syndicat Unité SGP-FO du Val-d'Oise.

Depuis mai 2019, un dispositif (code-barre et vignette) permet de tracer chaque paquet présent sur le territoire. Mais "ce n'est pas une barrière étanche" et la contrefaçon est "à un niveau jamais atteint", selon le géant américain du tabac Philip Morris, qui pointe des usines clandestines "au cœur de l'Europe", sans contrôle sanitaire et reliées à la criminalité organisée.

Certains trafiquants se retrouvent devant la justice, comme ce quadragénaire qui comparaissait en février devant le tribunal de Bobigny pour revente illégale de cigarettes et surtout le stockage de 2.065 cartouches chez lui à Aubervilliers, soit 143.000 euros non déclarés.

"Le prévenu s'inscrit dans ce business", "à caractère international" et "beaucoup moins risqué que le trafic de stupéfiants", concluait le parquet. La "nourrice" écopera de six mois de prison avec sursis et 10.000 euros d'amende.

De son côté, Youssef raconte que la BAC a un jour saisi ses cartouches pour un montant d'environ 1.200 euros: "J'ai tout perdu en deux minutes !" Ce qui ne l'a pas empêché de continuer.

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