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Les employeurs au défi des addictions, sujet longtemps "tabou"

Il y a dix ans, Laurence Cottet, cadre supérieure, a "tout perdu" à cause de sa dépendance à l'alcool. Elle en a tiré un livre évoquant les addictions en entreprise, longtemps un "tabou" contre lequel les employeurs tentent aujourd'hui d'agir.

Tous les secteurs d'activité et catégories socioprofessionnelles peuvent être concernés par une alcoolisation excessive, selon les données de la "cohorte Constances", vaste enquête de santé publique dévoilée en mai 2018.

Chez les femmes, les cadres présentent le plus haut pourcentage de consommation à risque d'alcool (11,7%), devant ouvrières et artisans (8,6%).

"Mes consommations et ma dépendance à l'alcool sont montées crescendo avec mes responsabilités professionnelles", témoigne Laurence Cottet, ex-cadre supérieure chez Vinci et auteure du livre "Non! J'ai arrêté" (InterEditions, 2015).

"J'étais désemparée et ne trouvais ni les outils ni les interlocuteurs dans mon entreprise pour en parler, alors que tout le monde connaissait mon addiction", raconte-t-elle à l'AFP. Un "cocktail addictif" même, en ce qui la concerne: alcool, cocaïne, psychotropes...

Le 24 janvier 2009, lors d'une cérémonie de voeux, elle s'est effondrée, "ivre morte", devant 650 cadres, ce qui a conduit à son licenciement.

Stress, fatigue, quête de la performance... Vingt des 29 millions d'actifs en France étaient concernés en 2016 par des consommations addictives au sens large ("de l'usage à la dépendance"), selon un rapport que vient de publier l'opérateur public France Stratégie.

Les niveaux de consommation des actifs sont "élevés" et "supérieurs, pour certains produits tels que le tabac, le cannabis et les médicaments psychotropes" à ceux relevés dans la population générale, pointe la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

Un "plan national de mobilisation contre les addictions" (alcool, drogues, tabac...) a été dévoilé la semaine dernière par le gouvernement, qui veut en faire "une priorité de la santé au travail".

Quelle place pour les employeurs dans cette lutte? Il faut considérer les "entreprises plutôt comme des partenaires que comme des coupables", estime Jean-Michel Delile, psychiatre et président du réseau "Fédération addiction", pour qui les "relais d'action les plus importants sont dans les grands groupes".

- "Plus heureux"... et "moins absents" -

Le géant industriel Safran a ainsi mis en place depuis deux ans, dans le cadre du "Mois sans tabac", un programme d'aide à l'arrêt de la cigarette sur son site de Saclay, au sud-ouest de Paris. Son financement est notamment assuré par les mutuelles du groupe. Huit salariés se sont portés volontaires en 2017, dont sept ont réussi à arrêter de fumer.

Parmi eux, Noël Garrier-Giraudeau, 61 ans, fumeur depuis l'âge de 15 ans, consommait entre 10 et 15 cigarettes par jour.

"Je pense que sans ce programme je n'aurais pas spécialement arrêté. Ça m'a motivé", confie-t-il, disant en avoir eu "marre d'être emprisonné par le tabac". Agnès Martineau-Arbes, médecin du travail chez Safran, ne fait pas mystère des bénéfices évidents que l'entreprise peut tirer d'une telle politique: des salariés "en bonne santé", "plus efficaces, plus heureux et moins absents".

Les professionnels de santé ne sont pas épargnés par les conduites addictives. Plus d'un soignant sur dix (12%) fume quotidiennement, un taux plus élevé encore chez les infirmiers (20%) et aides-soignants (22%), selon un sondage Odoxa publié en décembre. Et un médecin sur dix consomme de l'alcool "tous les jours ou presque" - "plusieurs fois par semaine" pour 18% des généralistes comme des spécialistes.

Face à ces situations, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a créé la mission Fides (confiance en latin) de "prévention et de prise en charge des addictions" dès 2006, une époque où le sujet était "totalement tabou", rappelle Isabelle Chavignaud, coordinatrice du programme.

Dans le "livret d'accueil" qui leur est remis à l'AP-HP, les internes sont désormais invités à se confier, anonymement, à des professionnels en cas de problème d'alcool ou de drogue. "Le pire est le silence", prévient le document.

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