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Les Pakistanais priés de trouver des milliards pour bâtir des barrages

Le 7 septembre, le nouveau Premier ministre Imran Khan a la voix grave lorsqu'il appelle les Pakistanais à faire des dons à hauteur de plusieurs milliards de dollars pour financer la construction de deux barrages, un objectif qualifié d'irréaliste par certains.

"Nous n'avons que 30 jours de capacité de stockage d'eau", affirme-t-il, en appelant à la ferveur patriotique de ses concitoyens lors d'une de ses toutes premières allocutions depuis son élection en juillet.

Après des décennies de non-investissement dans le domaine, le Pakistan, dont la population de quelque 207 millions d'habitants est en rapide expansion, est menacé de "pénurie d'eau absolue" d'ici 2025, selon les experts.

Il ne possède actuellement que deux gros réservoirs et est incapable de stocker les eaux de pluie ou de fonte de ses glaciers himalayens.

Le coût des deux projets de nouveaux barrages, Mohmand et Diamer-Basha, est estimé à 14 milliards de dollars (12 milliards d'euros). Or le Pakistan, actuellement au bord de l'insolvabilité, ne peut peut se permettre un tel investissement.

D'où l'idée de solliciter les millions de Pakistanais vivant à l'étranger. Si chacun donnait 1.000 dollars (860 euros), le problème serait résolu, estime Imran Khan.

Un fonds dédié aux barrages avait été mis sur pied dès juillet par le chef de la Cour suprême, Saqib Nisar. Soutenu par une intense campagne publicitaire, il a dans un premier temps permis de rassembler 14 millions d'euros.

L'intervention du Premier ministre lui a donné un coup de fouet, portant les dons à 28 millions. Il en faudra au moins 400 fois plus pour atteindre l'objectif annoncé.

- "Infaisable" -

D'où le scepticisme non dissimulé de certains. "Vous ne pouvez pas récolter (12 milliards d'euros) par financement participatif. C'est infaisable", soupire Khaleeq Kiani, un journaliste économique pakistanais respecté. "Personne n'a jamais réuni autant d'argent" de cette manière, ajoute-t-il.

Qu'importent les doutes, la puissante armée pakistanaise montre l'exemple, en signant un chèque de 6,8 millions d'euros. L'équipe nationale de football a reversé une récompense de 8.500 euros gagnée à un tournoi.

Pour les plus modestes, un numéro de téléphone permet de verser 10 roupies (7 centimes d'euro) par SMS.

Aucun calendrier n'a toutefois été fourni pour les travaux. Imran Khan, élu sur un programme farouchement anti-corruption, s'est engagé à "protéger (le fonds) de tout abus".

L'ancien champion de cricket a pour lui une réputation d'intégrité. Il a par le passé fait construire par financement participatif deux des meilleurs hôpitaux du Pakistan.

Les montants récoltés, environ 260 millions d'euros à ce jour, n'avaient certes rien à voir avec les sommes nécessaires aux barrages. Mais ils ont servi de tremplin à sa carrière politique.

"Imran Khan prendra soin de chaque roupie", assure le commerçant Muhammad Naseem, rencontré par l'AFP sur un marché d'Islamabad.

Mais d'autres dénoncent un mélange des genres, notamment le rôle joué par le juge Nisar, perçu comme outrepassant ses compétences judiciaires.

- Cultures gourmandes -

Il s'est vu accuser d'user de ses pouvoirs pour forcer individus ou entreprises à contribuer au fonds. Il est allé jusqu'à suggérer publiquement que s'opposer au projet de barrages équivaudrait à trahir le pays.

Dans un tel contexte, des experts signalant des dysfonctionnements seraient-ils "considérés comme des traîtres à la cause ?", s'interroge l'analyste politique Ijaz Haider dans l'hebdomadaire Newsweek.

Or, le plus ambitieux des deux projets de barrages, Diamer-Basha, apparaît déjà controversé à plusieurs égards.

Il est situé dans la province du Gilgit-Baltistan, un territoire revendiqué par l'Inde.

Il se trouve en outre dans une zone à forte activité sismique, "au croisement des plaques asiatique et européenne", rendant impossible la construction de l'ouvrage, estime Daanish Mustafa, un chercheur au King's College de Londres.

Plus que les barrages, le Pakistan devrait revoir entièrement sa politique de l'eau, en commençant par réparer son réseau d'irrigation, très poreux et vétuste, affirme Ali Tauqeer Sheikh, spécialiste de l'eau et du climat.

Le pays devrait aussi changer ses cultures et réduire la part du riz, très gourmand en eau, ajoute-t-il.

Imran Khan "a fait un discours et après cela on n'a rien vu", regrette-t-il. "Si le Premier ministre est sérieux, il doit passer plus de temps sur le sujet... et nous dire clairement quel est son plan".

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