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Marché des eaux usées en région parisienne: les soupçons de corruption se multiplient

Un mystérieux corbeau, de possibles tentatives de corruption révélées grâce à un stylo enregistreur, d'énigmatiques intermédiaires: les procédures judiciaires sur le marché des eaux usées en région parisienne se multiplient et l'affaire prend des allures de roman policier.

Elle concerne des contrats passés par le Siaap (syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne), qui épure les eaux usées de près de 9 millions de Franciliens, avec plusieurs entreprises dont Veolia, leader mondial de la gestion de l'eau.

Dernière procédure en date: le parquet national financier a ouvert début mars une enquête préliminaire à la suite d'une plainte contre X d'un entrepreneur milanais, Marco Schiavio de la société Passavant, qui met en cause deux cadres d'OTV, une filiale de Veolia.

D'après sa plainte dont l'AFP a eu connaissance, ces derniers auraient tenté en 2014 de l'écarter du marché de modernisation de l'usine de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), point de passage d'une importante partie des eaux usées de l'agglomération parisienne. Au final, le contrat a été remporté par OTV et la société Stereau du groupe Saur, qui ont pourtant déposé une offre supérieure de 71 millions d'euros à celle de Passavant, selon Marco Schiavio.

Les deux cadres auraient également essayé en 2015 de dissuader l'entrepreneur milanais de former un recours, moyennant une compensation représentant de "20 à 25 millions d'euros".

Sollicités, les cadres d'OTV ont assuré que les rencontres avec M. Schiavio "se sont faites à la demande de Passavant qui à deux reprises (les) a fait chanter". Veolia a pour sa part indiqué avoir saisi son directeur de la conformité "en vue d'apporter tout l'éclairage nécessaire".

Marco Schiavio affirme aussi avoir été victime d'une tentative de corruption sur un autre marché. En 2016, l'avocat et ex-conseiller politique de Nicolas Sarkozy, Dominique Paillé, un temps employé comme conseil par Passavant, lui aurait alors proposé 1,35 million d'euros pour ne pas présenter d'offre ou pour augmenter son offre de façon conséquente, afin que celle-ci ne soit pas retenue.

A l'appui de sa plainte, l'entrepreneur italien a versé plusieurs conversations captées avec un stylo enregistreur. "Votre attitude (refuser les 1,35 M EUR, ndlr) n'est pas, en termes de business une bonne attitude (et) est plus compromettante pour l'avenir que tout autre chose", lui aurait notamment déclaré M. Paillé, assurant agir au nom de "l'autorité qui passe les marchés", autrement dit du Siaap.

"Le syndicat dément catégoriquement connaître Dominique Paillé", d'après son avocat, Jean-Pierre Versini-Campinchi.

Pierre-Alexandre Kopp, avocat de l'entrepreneur milanais, dénonce de son côté d'éventuelles ententes "qui conduisent toujours à augmenter le prix de l'eau pour les consommateurs".

Pour les Parisiens, la facture de l'eau a augmenté de 19% entre 2010 et 2018, tandis que sur cette période la part acquittée pour l'assainissement a grimpé de 57%, d'après l'opérateur Eau de Paris.

- Six lettres anonymes -

Le marché des eaux usées francilien est déjà au coeur d'une information judiciaire depuis 2013 à la suite d'un courrier anonyme de 2011 qui évoquait d'éventuelles malversations.

L'auteur du courrier donnait, quelques mois à l'avance, les noms des entreprises attributaires du marché de réfection de Seine-Aval, deuxième plus grande station d'épuration d'Europe à Achères (Yvelines).

Les annonces s'étaient vérifiées début 2012 quand un consortium d'industriels, Biosav, avait remporté le marché pour un montant de 776,7 millions d'euros.

En mai 2017, six cadres ou ex-cadres du Siaap ont été placés en garde à vue, mais aucun n'a été mis en examen, d'après une source proche du dossier. A ce jour, seul le responsable d'un bureau d'études, soupçonné d'avoir trop facturé des prestations, est poursuivi, a-t-elle ajouté. Le Siaap et la Mairie de Paris, dont plusieurs élus siègent au syndicat, se sont portés parties civiles.

Six lettres anonymes ont été à ce jour envoyées aux juges d'instruction, d'après la source.

Et une nouvelle plainte de deux associations, datée du 1er mars, concernant cette-fois l'attribution par le Siaap d'un contrat de 397 millions d'euros à Veolia pour gérer l'usine de traitement de Valenton (Val-de-Marne) pourrait à terme être versée à cette enquête. Ce marché a été suspendu mardi par la cour administrative d'appel de Paris au motif que l'appel d'offres du Siaap contenait une "clause Molière" qui a pu conduire à exclure des candidats étrangers.

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