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Mediator: l'art de l'esquive d'experts accusés de conflits d'intérêts

"Pour vous, c'est quoi un conflit d'intérêts?" Jugés à Paris au procès du scandale du Mediator, d'anciens experts auprès de l'Agence du médicament accusés d'avoir été sous "l'influence" des laboratoires Servier, se sont évertués à rejeter tout lien "suspect" avec la firme.

Michel Detilleux le martèle à la barre du tribunal correctionnel mercredi: "J'étais parfaitement dans les clous." Ce professeur de médecine de 77 ans était consultant pour Servier tout en siégeant à une commission de l'Agence de sécurité du médicament (l'ex-Afssaps, devenue ANSM en 2013), statuant notamment sur le Mediator.

Les mêmes faits sont reprochés à Bernard Rouveix, 73 ans, entendu, lui, mardi par le tribunal qui les juge tous deux pour "prise illégale d'intérêts".

Ont-ils "renseigné" la firme sur les positions internes de l'Agence et ont-ils proposé à Servier une "stratégie" sur le Mediator, un des médicaments qu'ils étaient chargés de surveiller? "Jamais", s'exclament les deux prévenus.

"Pourquoi je l'aurais fait? Je n'étais pas un sachant sur le Mediator", signale le professeur Bernard Rouveix, spécialiste en infectiologie. De cet antidiabétique largement prescrit comme coupe-faim, il se souvient surtout qu'il n'était pas "indispensable".

Comment justifie-t-il alors ce document interne au groupe selon lequel il aurait évoqué une substance chimiquement proche du Mediator? "Je tombe du wagon de pommes! Je n'ai jamais fait ça", assure le Pr Rouveix.

Et ce fax de juin 2007 dans lequel le groupe Servier lui demandait un "retour d'informations sur les décisions concernant" la firme? "On a retrouvé cela chez moi, mais je ne l'explique pas, je n'ai jamais eu de fax", esquive-t-il.

Dans une autre note, il conseillait aux laboratoires de rappeler aux médecins "l'indication thérapeutique" du Mediator.

"Je ne vois pas quel est le mal que j'ai pu faire", tranche Bernard Rouveix. Consultant de plusieurs laboratoires, également expert judiciaire, il assure n'avoir "jamais reçu de stylo à bille de Servier".

S'il n'a d'ailleurs jamais fait de déclarations d'intérêts, c'est que son "rapport très indirect" avec Servier ne lui "apparaissait pas comme un conflit majeur".

- "Phrase idiote" -

"Défenseur" de la déclaration d'intérêts, Michel Detilleux a lui signifié à l'Afssaps son "lien" avec les laboratoires Servier. "Un lien", insiste-t-il, "pas un conflit".

Expert en médecine interne, il était devenu consultant pour Servier "en 1990-1991" pour une rémunération "variable" - "30.000" euros annuels, puis "25.000". A de rares exceptions près, il ne travaillait jamais sur les "anciens médicaments".

Deux fois cependant, il a étudié le Mediator, mis sur le marché en 1976 et retiré en 2009, tenu pour responsable de centaines de décès.

Le tribunal s'intéresse particulièrement à ce compte-rendu de réunion de 2000, concluant à la "proposition stratégique convaincante du Pr Detilleux" qui expliquait comment "sauver" le Mediator.

"Je suis abasourdi, le mot est faible", se défend à la barre l'expert, se demandant s'il a bien tenu ces propos et si l'auteur "anonyme" du compte-rendu n'a pas "voulu se faire mousser".

Devant les enquêteurs, il avait qualifié son attitude de "pas tout à fait dans les clous". "C'était une phrase idiote", déclare-t-il à la barre. Car, lorsqu'il siégeait en commission à l'Agence du médicament, il a "toujours appliqué la règle du déport" s'agissant des produits de Servier, à savoir "ne pas prendre la parole, ne pas prendre part au vote", assène-t-il.

Mais sortait-il de la salle, s'interroge la présidente, alors qu'il lui est reproché d'être resté lors d'une commission en avril 2007 devant réévaluer le médicament?

"J'étais en droit de rester", la règle de sortie n'étant pas encore "officialisée", assure le Pr Detilleux.

L'écoute de l'enregistrement de cette séance confirme ses dires: il ne lui a pas été demandé de sortir, il n'a pas pris la parole. Elle permet aussi d'entendre des experts et membres de l'Agence débattre longuement de la stratégie à adopter au sujet du Mediator, "chimiquement un coupe-faim", après plusieurs "signalements" de graves maladies cardiaques.

Sa commercialisation ne sera suspendue que deux ans et demi plus tard. Ce retrait tardif vaut à l'ANSM d'être jugée pour "homicides et blessures involontaires", au côté des laboratoires Servier.

Fin du procès le 30 avril.

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