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Mieux manger, moins dépenser, impératifs (apparemment) contradictoires

D'un côté, l'envie d'être solidaire avec les producteurs régionaux et de manger sainement; de l'autre, les craintes sur le pouvoir d'achat et la quête perpétuelle du juste prix: pas facile pour les consommateurs, à l'heure du coronavirus, de concilier préoccupations sanitaires et économiques.

. Pourquoi est-il à nouveau question du pouvoir d'achat?

C'est le grand patron des distributeurs E.Leclerc, Michel-Edouard Leclerc, qui a posé le dilemme, récemment sur RTL. D'une part, "il y a une meilleure réflexion sur ce que l'on mange, on va vers plus de bio, des choses plus qualitatives ou d'apparence plus qualitatives", estime-t-il, mais, dans le même temps, "la question du pouvoir d'achat revient".

"Plus les temps sont durs, plus les consommateurs ont besoin d'être rassurés sur les prix des enseignes où ils vont se rendre", analyse Olivier Dauvers, expert français de la distribution. En l'occurrence, non seulement l'épidémie de coronavirus a repris de la vigueur en France et en Europe, mais en plus l'ampleur de ses conséquences sur l'économie n'est pas encore connue.

Fin juillet, l'institut Nielsen avait annoncé avoir enregistré au deuxième trimestre 2020 la plus forte baisse de la confiance des consommateurs dans le monde depuis la création de l'indice, en 2005.

. Pourquoi les enseignes cassent certains prix?

"Les enseignes sont aujourd'hui en train de changer leur sémantique, de plus en plus, vers la défense du pouvoir d'achat", observe encore Olivier Dauvers.

Objectif: travailler leur "image prix", c'est-à-dire la perception qu'ont les clients de leurs prix. "C'est la conséquence évidemment des prix, mais aussi de tout ce qui les environne, la manière dont on fait la publicité, les produits sur lesquels on va peut-être accepter de casser sa marge"...

Un exemple, non alimentaire mais éloquent: mardi dernier, Intermarché et Netto ont annoncé commercialiser des boîtes de 50 masques chirurgicaux à 9,95 euros, "prix coûtant", alors que le prix de vente de ces boites dans la grande distribution oscillait jusque-là entre 20 et 26 euros. Ni une ni deux, E.Leclerc a surenchéri jeudi, annonçant vendre ces boîtes à... 4,95 euros. "Il n'est pas question de faire des masques un produit d'appel, mais on les vend sans marge", a plaidé Michel-Edouard Leclerc.

Auteur d'un ouvrage sur le sujet, Olivier Dauvers pointe une corrélation "mathématique" entre l'image prix des enseignes et leurs performances commerciales. En l'occurrence, ce sont les parts de marché de Lidl et E.Leclerc, notamment, qui sont en pleine progression depuis le déconfinement.

. Est-ce au détriment de la qualité?

Pour Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing de Lidl France, bien sûr, la qualité n'est pas sacrifiée sur l'autel du petit prix. "Si Lidl gagne 400.000 nouveaux clients par mois, c'est par bouche à oreille, parce que les gens savent qu'à Lidl, le saucisson est bon et coûte 2 euros 89, alors à qu'à Monoprix il coûte 4 euros 50".

Là aussi, Olivier Dauvers nuance: "sur le papier, prendre soin de soi, des autres, de la planète, cela coûte plus cher". Mais "chercher le prix le moins cher ne signifie pas nécessairement dégrader tous les éléments de qualité": on peut travailler sur son pouvoir d'achat même en n'achetant que des produits responsables ou haut de gamme, en cherchant dans quelle enseigne il sera le moins cher.

. Qui consomme "responsable"?

Attention, il y a une différence entre le déclaratif et la réalité des achats, soulignent les distributeurs. Michel Biero, par exemple, raconte que Lidl avait sensibilisé il y a quelques années ses clients sur les difficultés des éleveurs français, "en expliquant qu'il y a du lait, du boeuf, du porc responsables dans nos magasins, et tous les clients voulaient les aider." Mais à la sortie, les mêmes clients avaient fait d'autres choix, pointant qu'il "y avait quand même 20 centimes de différence par litre de lait!"

Dernier élément à prendre en compte: la "fragmentation du modèle alimentaire", documentée par l'ObSoCo (Observatoire société et consommation), entre consommateurs "engagés" (18%), voulant manger plus "sain" ou "responsable; "traditionnels" (44%), qui privilégient avant tout "le plaisir et le goût"; et "fragilisés", (38%), contraints budgétairement. Ce rapport de forces date de février 2020, reste à savoir dans quelle mesure le Covid va le faire évoluer.

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