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Migrations: les Européens encore loin du compte après leur accord au forceps

Les Européens sont loin d'avoir mis fin aux querelles sur les migrations avec leur accord conclu dans la douleur vendredi à Bruxelles, qui soulève de nombreuses questions sur sa mise en pratique et de sévères critiques de la part d'ONG.

Un nouveau drame survenu vendredi a rappelé les drames humains derrière ces tractations diplomatiques: trois bébés sont morts et une centaine de personnes sont portées disparues après le naufrage d'un canot pneumatique au large des côtes libyennes.

Les pays d'Europe centrale, les plus hostiles à l'accueil de migrants, ont crié victoire à l'issue du sommet bruxellois en soulignant qu'il n'y avait aucune mesure d'accueil obligatoire dans le compromis des 28, que l'Italie avait menacé de bloquer faute d'engagements de solidarité de ses voisins face aux arrivées sur ses côtes.

"L'Italie n'est plus seule", s'est réjoui le chef du gouvernement populiste italien Giuseppe Conte après les "conclusions" du sommet approuvées à l'unanimité à 04H30 du matin (02H30 GMT), au bout de neuf heures de tractations tendues.

"C'est un accord pour construire, il ne règle en rien la crise que nous vivons", a admis le président français Emmanuel Macron, tandis que la chancelière allemande Angela Merkel a reconnu que les Européens n'étaient "pas encore au bout du chemin".

"Il est beaucoup trop tôt pour parler d'un succès" pour l'UE, a asséné de son côté le président du Conseil européen Donald Tusk vendredi. L'accord politique était "en fait la partie la plus facile de la tâche, comparé à ce qui nous attend sur le terrain, quand nous commencerons à appliquer" les propositions, a-t-il admis.

- Orban satisfait -

L'annonce dès vendredi par le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini (extrême droite) que les ports italiens seraient fermés "tout l'été" aux ONG secourant des migrants, est venue illustrer les possibles difficultés qui s'annoncent.

L'accord des 28 propose notamment d'explorer une "nouvelle approche" controversée avec la création de "plateformes de débarquements" de migrants en dehors de l'UE pour dissuader les traversées de la Méditerranée, où les 28 ont appelé les ONG à "ne pas entraver les opérations des garde-côtes libyens".

"Les seules composantes sur lesquelles les Etats européens semblent s'être mis d'accord sont, d'une part, le blocage des personnes aux portes de l'Europe (...) et d'autre part, la diabolisation" des ONG faisant du sauvetage en mer, a déploré la responsable des urgences pour MSF, Karline Kleijer.

Pour les migrants secourus dans les eaux européennes, des "centres contrôlés" sont proposés dans le texte -- et non "fermés" comme le souhaitait la France --, que les Etats membres mettraient en place "sur une base volontaire".

Une distinction y serait faite "rapidement" entre migrants irréguliers à expulser et demandeurs d'asile légitimes, qui pourraient être répartis dans l'UE, mais là aussi "sur une base volontaire".

"Il est clair que la relocalisation des migrants ne pourra pas s'effectuer sans l'accord préalable et le consentement des pays concernés", s'est félicité le Premier ministre hongrois Viktor Orban, estimant que "la Hongrie restera un pays hongrois et ne deviendra pas un pays de migrants".

C'est un "immense succès", a renchéri son homologue polonais Mateusz Morawiecki, dont le pays avait comme la Hongrie rejeté les quotas de répartition instaurés provisoirement de 2015 à 2017.

La question se pose désormais de la localisation des "centres contrôlés" évoqués dans le compromis européen. "Des pays ont dit leur disponibilité, pas l'Italie", a rappelé M. Conte, après que le chancelier autrichien Sebastian Kurz a aussi exclu d'en avoir en Autriche.

"La France n'est pas un pays de première arrivée, compte tenue de sa situation, et n'ouvrira pas de centres de ce type", a dit à son tour M. Macron.

L'accord appelle aussi les Etats membres à "prendre toutes les mesures" internes nécessaires pour éviter les déplacements de migrants entre pays de l'UE, ces "mouvements secondaires" convergeant souvent vers l'Allemagne, où ils sont au coeur du débat politique qui fragilise Angela Merkel.

"La Grèce et l'Espagne sont prêtes à reprendre les demandeurs d'asile qui seront interpellés à l'avenir à la frontière germano-autrichienne par les autorités allemandes", s'ils ont été enregistrés au préalable dans ces pays, a indiqué dès vendredi le gouvernement allemand.

Mme Merkel avait promis ce type d'accords bilatéraux pour convaincre son ministre de l'Intérieur Horst Seehofer, issu de l'aile droite conservatrice de sa coalition, de renoncer à son projet de refouler unilatéralement tout demandeur d'asile enregistré ailleurs.

- "Problème majeur" -

Les dirigeants des pays de l'UE ont par ailleurs entériné leur aveu d'échec sur la réforme globale du régime d'asile européen, enlisée depuis deux ans, que ce sommet était à l'origine censé débloquer.

L'accord des 28 appelle à "trouver un consensus sur le Règlement de Dublin", le point le plus conflictuel de cette réforme, mais sans fixer de calendrier.

La législation européenne en question est celle qui confie aux pays de première entrée dans l'UE la responsabilité principale du traitement des demandes d'asile, faisant peser une charge disproportionnée sur certains pays.

La Commission propose de pouvoir à l'avenir déroger à ce principe en période de crise, avec une répartition des demandeurs d'asile depuis leur lieu d'arrivée. Mais des pays comme la Hongrie et la Pologne, soutenus par l'Autriche, s'y opposent frontalement.

L'Italie demande de son côté un système permanent de répartition, et l'abandon pur et simple du principe de la responsabilité du pays d'arrivée.

Ces négociations "auraient dû être conclues maintenant, mais il y a encore un long chemin à faire", a regretté le Premier ministre suédois Stefan Löfven. "C'est un problème majeur à traiter pour l'UE".

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