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Mucha, témoin de l'Histoire slave, au Musée du Luxembourg

Incarnant l'Art Nouveau dans ses affiches où posent de jolies femmes gracieuses, Alphonse Mucha a été longtemps ravalé au rang d'artiste archaïque et léger. Pourtant, il est aussi le conteur et témoin de l'Histoire slave, avec une force saisissante, comme le montre une rétrospective au Musée du Luxembourg.

Ramener l'artiste tchèque (1860-1939) aux affiches publicitaires que des Parisiens enthousiastes venaient voler sur les colonnes Morris à la fin du XIXème siècle, est complètement réducteur.

L'exposition, jusqu'au 27 janvier au Musée du Luxembourg, la première à Paris depuis 1980, met en lumière deux faces de l'artiste, observe Emmanuel Coquery, directeur scientifique de la Réunion des Musées nationaux: d'abord l'affichiste des débuts, qui transmet la sensualité de la femme dans le style japoniste inspiré des kakemono.

Ce "style Mucha", avec ses arrondis, plaît à nouveau aujourd'hui et est repris par les jeunes, notamment dans la mode des tatouages, selon M. Coquery.

Mais il y a l'autre face: le Mucha qui au bout de sept ans ne se contente plus de cette belle production qui lui apporte la prospérité, est travaillé par ses racines, rompt avec cette vie facile et prend fait et cause pour le peuple tchèque et les autres peuples opprimés sous l'Empire austro-hongrois, et les Slaves en général.

Il adresse alors un message humanitaire au monde, de la France aux Etats-Unis, par exemple en montrant l'image d'une mère et de son enfant souffrant de la famine dans la guerre civile en Russie dans les années 20. Il travaille à partir de photographies qu'il a prises lui-même.

C'est un Mucha plus grave, à la fois franc-maçon et mystique, intéressé par la théosophie et l'ésotérisme, qui peint une Vierge aux lys et illustre la vie des saints nationaux tchèques pour les vitraux de la cathédrale de Prague.

La palette se fait souvent symboliste, mystérieuse. Il voyage aux Etats-Unis, rencontre d'importants mécènes, et, à Paris, fréquente les "prophètes" de l'art de l'époque comme les Nabis dont il s'inspire.

Le fusain "Mourtia, la peste" ou la gravure "Donne-nous notre pain quotidien", montrant une foule affamée, attestent de cette force de conviction. Des oeuvres qui pourraient être reprises comme affiches par des ONG humanitaires.

- Mucha, un art proche du cinéma -

"L'oeuvre de Mucha est à mille lieux de l'art pour l'art. Il se considérait comme un porteur de message, un peu comme un réalisateur de cinéma. Il était trés intéressé par le cinéma et connaissait d'ailleurs les frères Lumière", souligne Emmanuel Coquery.

"Il avait le goût de la figuration, du grand récit historique", comme il le montrera dans ses fresques de l'Epopée slave, qu'il considérait comme l'oeuvre majeure de sa vie, un énorme ensemble conservé à Prague. Visible sur des écrans video au Musée du Luxembourg, l'Epopée donne précisément l'impression du déroulé d'un grand film historique.

Exposés au Luxembourg, des dessins et peintures préparatoires à ces 20 fresques de 6 sur 8 sont particulièrement remarquables, fourmillant de personnages et de symboles dans un fondu de couleurs brumeuses.

Le premier Mucha était déjà "soucieux de porter un message, mettre de la beauté dans la rue, dans la vie des gens" par ses affiches, notamment ses Quatre saisons, si subtiles dans leurs couleurs pastels, note Emmanuel Coquery.

Quand il meurt en 1939 après avoir été arrêté brièvement par la Gestapo à Prague, c'est un homme très engagé qui s'éteint et qui aura réussi à populariser des destins peu connus en France des peuples de l'Europe orientale.

jlv/ial/cam

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