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Nucléaire: les déboires de l'EPR illustrent les fragilités de la filière

Les nouveaux déboires de l'EPR de Flamanville illustrent les fragilités de l'ensemble de la filière nucléaire française, qui a souffert de pertes de compétences importantes et perdu l'habitude des gros chantiers.

L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a décidé jeudi qu'EDF devrait réparer huit soudures difficilement accessibles de l'EPR de Flamanville (Manche), occasionnant de nouveaux retards importants pour ce très coûteux projet.

L'électricien pense pouvoir effectuer les réparations "d'ici fin 2022", selon l'ASN. "Aucune date n'a été fixée concernant le délai de réparation des soudures", indique pour sa part EDF.

Si le calendrier et les surcoûts probables doivent encore être précisés, c'est dans tous les cas un nouveau coup dur pour le fleuron de la filière nucléaire française, qui n'a cessé d'accumuler des déboires depuis le début du chantier en 2007.

"La situation dans laquelle s'est trouvé l'EPR est la conséquence d'une interruption prolongée, pendant plus de 15 ans, des constructions de ce type, de haut niveau de qualité, et il y a donc eu une certaine perte d'expérience", a souligné le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk.

La France a en effet construit ses 58 réacteurs actuels dans un laps de temps relativement court, avec des mises en service entre 1977 (Fessenheim) et 1999 (Civeaux). Les projets ont ensuite connu une pause avant le lancement de Flamanville, unique réacteur de nouvelle génération construit en France actuellement.

Ceux qui ont construit le parc historique "ont maintenant l'âge pour la plupart d'être à la retraite", remarque Florent Nguyen, du cabinet Oresys.

- "mains dans le cambouis" -

"La politique de recrutement a aussi un peu changé. Dans les années 70/80 il y avait beaucoup de profils de techniciens mais ces dernières années c'est plutôt des ingénieurs", poursuit le consultant. "On n'a plus aujourd'hui des jeunes embauchés qui ont vécu et qui ont mis les mains dans le cambouis".

Un certain nombre de fonctions ont aussi été sous-traitées par EDF, auquel l'ASN a reproché par le passé des manques dans sa supervision.

Sur les quelque 5.000 personnes présentes sur le chantier pharaonique de Flamanville, l'électricien n'en emploie d'ailleurs que 900, qui pilotent et surveillent sa construction et préparent l'exploitation. Le reste des effectifs provient de prestataires, dont une partie significative viennent même de l'étranger.

"Il n'y a pas qu'EDF, c'est un ensemble d'intervenants", rappelle Bernard Doroszczuk. "EDF fait appel pour la construction à des fabricants qui eux-mêmes peuvent faire appel à des sous-traitants donc on voir bien que c'est une chaîne de responsabilité globale", estime-t-il.

En France, la filière revendique 2.500 entreprises, 220.000 salariés et la troisième place parmi les industries tricolores, derrière l'aéronautique et l'automobile.

La réputation du secteur avait aussi été entachée par des irrégularités sur le site du Creusot (Saône-et-Loire), qui a fabriqué la cuve de l'EPR. L'usine appartenait à l'époque à Areva, aujourd'hui Framatome, qui est passé sous le contrôle d'EDF.

- "réapprentissage" -

L'ASN a plusieurs fois alerté sur les compétences de la filière ces dernières années, son patron réclamant même en début d'année un "ressaisissement collectif et stratégique de la filière autour de la formation professionnelle et des compétences clefs d'exécution". Mais elle estime aussi que la France a encore les capacités de mener des projets complexes.

"L'expérience ça se retrouve, ça se retrouve lorsque l'on pratique et que l'on corrige les erreurs que l'on a commises", juge Bernard Doroszczuk, qui ne met pas en cause la conception du réacteur.

D'autres constructions ont d'ailleurs été achevées: deux EPR ont déjà démarré, sur le site de Taishan en Chine, malgré un début de construction ultérieur à Flamanville.

"On est clairement dans la phase de réapprentissage mais il ne faut pas non plus noircir le tableau", déclarait cette semaine le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy.

A moyen terme, la filière se pose aussi la question de son attractivité alors que son avenir est incertain, marqué par les hésitations des gouvernements successifs.

"Si on regarde les dix ans écoulés, il n'y a pas eu de ligne directrice forte et clairement établie... ça ne donne pas forcément confiance à un jeune qui sort de son BTS soudage", souligne Florent Nguyen.

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