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Passion Vespa à Bamako

Seydou Seck a le dos droit et fière allure quand il remonte l'avenue de l'Indépendance, à Bamako, au guidon de sa vieille Vespa 1978 à la peinture grise décrépite.

Refaire le tour du quartier pour les photos? Aucun problème ! Il se prête à l'exercice avec joie sous l'oeil amusé des Maliens alentour.

"On n'est plus beaucoup à Bamako à avoir des Vespa. Alors on se connait, on se fait des appels de phare quand on se croise", explique l'aficionado de 60 ans, photographe de mariage dans la vie.

Moins de cent exemplaires du scooter de marque italienne circuleraient encore à Bamako selon son estimation. D'autres disent davantage, mais pas plus de 500 de l'avis général. L'écrasante majorité date des années 1970.

La "guêpe" (le sens de Vespa en italien) est devenue une affaire de passionnés dans la capitale du Mali. C'est le cas ailleurs, en Indonésie, en Inde, au Vietnam, des pays qui ne sont pas rongés par les conflits depuis près de dix ans comme le Mali.

Le constructeur italien Piaggio dit avoir vendu 19 millions de Vespa dans le monde depuis 1946. Piaggio n'étant pas présent au Mali, c'est sans doute au gré de voyages ou d'échanges que les Vespa y sont entrées.

Plus d'un ménage malien sur deux a une moto, selon des chiffres officiels. A Bamako, ville coupée en deux par le Niger et livrée aux embouteillages interminables, règne la "Djakarta", moto de fabrication asiatique qui a inondé le marché dans les années 2000.

- C'était mieux avant -

Les antiques Vespa, dont il faut importer les pièces de rechange, disparaissent peu à peu. Seydou Seck fait partie des irréductibles.

"Il faut comprendre, elle se prêtait à tous les âges: les jeunes en jeans, les femmes, les vieux en boubou", raconte-il. "La Vespa, c'est le confort !"

Il évoque ses virées en brousse sur sa vieille bécane - "la seule de toutes les motos ici à avoir une roue de secours" - et le bruit "particulier" du moteur sur les pistes en latérite.

"Il y a six ans, j'ai déchiré le tambour arrière en brousse. J'ai dû marcher 14 km pour aller à Kolokani, appeler le mécano à Bamako pour qu'il envoie la pièce dans la ville", relate-t-il. Il en rit, mais, pour rien au monde, il ne se séparerait de son engin.

Le mécano que Seydou Seck avait appelé à l'époque, c'est Adama Guindo, 51 ans.

Adama Guindo insiste: il ne répare que des Vespa depuis qu'il a commencé à travailler à 15 ans. A la fin des années 2000, il a repris le business quand son patron est mort. L'affaire roulait, à l'époque.

"Dans le temps, c'était facile, elle (la Vespa) avait une notoriété. Aujourd'hui, c'est compliqué, les fournisseurs n'envoient des pièces de rechange qu'en fonction de la demande. Et elle est très faible ici", souligne-t-il.

- Posture -

Le paysage pourrait changer en 2020. Piaggio dit qu'il compte se lancer indirectement sur le marché malien, par l'intermédiaire d'un importateur installé au Maroc, qui exportera des motos, des accessoires et des pièces de rechange.

Piaggio mise sur le goût, de plus en plus prononcé selon lui, des Africains en général pour des deux-roues sophistiqués et non pas seulement des mobylettes faciles d'entretien.

La rondelette Italienne occupe déjà une place à part dans la culture du Mali. Les clichés du grand photographe malien Malick Sidibé la montrent comme un des objets du quotidien des habitants de Bamako.

Dans ce Mali des années 1960-70, en paix et en plein exode rural, la moto devient "associée à la vie urbaine, devient un objet d'art", dit Igo Diarra, directeur de la galerie Medina et directeur des Rencontres de Bamako, la biennale africaine de la photographie.

"Il y a une histoire de posture, c'était la moto des jeunes premiers qui avaient réussi", analyse-t-il.

Sur l'affiche des prochaines Rencontres 2019, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta pose sur une Vespa, comme au temps de Malick Sidibé. Celle-là est grise et la peinture s'écaille: c'est celle de Seydou Seck. Il en sourit: "Le président s'est assis sur ma Vespa, c'est bien pour sa valeur..."

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