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Procès France Télécom: après 2 mois d'audience, place aux plaidoiries et aux réquisitions

Après deux mois de débats pour tenter de comprendre le fonctionnement de France Télécom, le procès pour "harcèlement moral" de ses ex-dirigeants, qui se tient dix ans après une vague de suicides de salariés, entre mardi dans sa dernière phase, celle des plaidoiries et des réquisitions.

Les plaidoiries des parties civiles démarrent mardi matin pour se terminer jeudi avec les avocats de SUD, Sylvie Topaloff et Jean-Paul Teissonnière. C'est la plainte de ce syndicat contre France Télécom, en septembre 2009, qui a donné un tournant judiciaire à l'affaire.

Le parquet présentera ses réquisitions vendredi après-midi. Puis les avocats de la défense plaideront en dernier, la semaine prochaine. Dans ce procès inédit, celui d'un harcèlement moral institutionnel, sont jugés l'ex-PDG, l'ex-numéro 2 et l'ex-DRH de France Télécom ainsi que quatre autres anciens responsables jugés eux pour "complicité".

Ils encourent un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende. France Télécom, première entreprise du CAC 40 à être jugée pour "harcèlement moral", risque elle 75.000 euros d'amende.

Depuis le début du procès le 6 mai, les audiences, très chargées émotionnellement, ont souvent été tendues entre les avocats de la partie civile et de la défense. Les déclarations des prévenus ont suscité de vives protestations dans le public, en grande partie composé d'anciens salariés de France Télécom.

Il y a eu aussi les silences lourds lors des témoignages des victimes, comme quand Noémie Louvradoux a pris la parole, jeudi. Le père de la jeune femme, Rémy Louvradoux, s'est immolé par le feu en 2011 sur un parking de France Télécom à Mérignac (Gironde). Il avait été balloté de poste en poste par sa direction. "Mon père, vous l'avez tué. Tout ça pourquoi?", a-t-elle interpellé les prévenus. "La mort de mon père, c'est la réussite de leur objectif", a-t-elle dit au tribunal.

- "100.000 chômeurs" -

En 2006, en pleine révolution technologique et face à une concurrence très agressive, le PDG Didier Lombard s'était engagé à faire partir 22.000 salariés sur trois ans, sur environ 120.000. L'entreprise était devenue privée, mais la majorité des employés étaient encore fonctionnaires et ne pouvaient donc pas être licenciés.

Les dirigeants ont-ils fait pression sur les salariés, pour les pousser au départ? Le harcèlement moral est défini dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail".

Les récits de salariés, même s'ils étaient répartis en France sur près de 23.000 sites, détaillent souvent les mêmes maux. Au coeur du dossier: les réorganisations et les mobilités forcées qu'elles soient fonctionnelles ou géographiques, qui ont été qualifiées par les juges d'instruction de "multiples et désordonnées".

A l'audience du 20 juin, la présidente Cécile Louis-Loyant expliquait: "Pour l'instant, il est difficile pour le tribunal d'identifier exactement le contenu des réorganisations, qui est à l'initiative dans ce processus. Est-ce une initiative nationale ou locale? (...) C'est souvent les deux".

Les prévenus reconnaissent qu'ils savaient que s'adapter à ces réorganisations serait dur pour des salariés, mais ils contestent tout harcèlement moral. "Dans ce qui a été défini comme politique d'entreprise et dans son application, il n'y a rien qui ressemble à ce qu'on nous reproche", a affirmé l'ex-numéro 2, Louis-Pierre Wenès.

"Je trouve scandaleux qu'on puisse imaginer qu'on ait mis en place une politique pour déstabiliser les collaborateurs", s'est défendu l'ex-DRH Olivier Barberot.

Didier Lombard met le contexte en avant, rappelant aussi souvent que possible qu'au début des années 2000, France Télécom était "l'entreprise la plus endettée du monde". "En 2005, l'entreprise était en train de couler et elle ne le savait pas. On aurait pu aller beaucoup plus doucement si on n'avait pas eu la concurrence à notre porte".

"De temps en temps, je me dis: +Tu aurais dû laisser couler et laisser le gouvernement gérer 100.000 chômeurs", a-t-il déclaré, alors que la présidente l'interrogeait sur ses propos tenus dans un documentaire de Serge Moati en 2009. "On a poussé le ballon un peu trop loin", lâchait-il alors. Des propos qu'il n'a jamais tenus devant le tribunal.

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