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Ruée sur le dollar dans un Cuba chamboulé par les réformes

"Si tu n'as pas de dollars, t'es foutu", soupirent les Cubains dans la rue: un mois après l'entrée en vigueur d'une vaste réforme économique, le billet vert est plus que jamais convoité et vaut déjà, sur le marché noir, le double de son cours officiel.

En lançant le 1er janvier l'unification monétaire, qui vise à supprimer le CUC (aligné artificiellement sur le dollar) pour ne laisser que le peso cubain ou CUP, le gouvernement communiste avait fait le choix de maintenir ce dernier à un taux de 24 CUP pour un dollar.

Un mois plus tard, sur des sites internet informels d'achat-vente comme Revolico, le billet vert s'échange jusqu'à... 50 CUP, soit un bond de 108,3% par rapport au cours légal.

"Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de pays au monde qui aient ce niveau de surévaluation de leur monnaie", commente sur Twitter l'économiste Pedro Monreal.

Et, ajoute-t-il, alors que "le taux (du CUP) sur le marché informel continue de se dévaluer, cela pourrait faire pression pour une nouvelle dévaluation officielle", en référence à la première dévaluation qui avait supprimé l'avantage donné aux entreprises d'Etat (85% de l'économie), qui bénéficiaient d'un taux spécial d'un CUP pour un dollar.

- Boutiques en devises -

Mais pourquoi une telle ruée sur le dollar? Car depuis fin 2019 les autorités cubaines ont lancé une dollarisation de leur économie afin de récupérer des devises et payer ainsi les importations, dans cette île qui fait venir de l'étranger 80% de ce qu'elle consomme.

Privé de touristes en raison de la pandémie et fragilisé par le renforcement de l'embargo américain par l'administration sortante de Donald Trump, le pays a plus que jamais besoin de devises pour rester à flot.

Dans les faits, cela a signifié l'ouverture de centaines de magasins alimentaires, d'électroménager et de pièces automobiles où l'on ne peut payer qu'en devises, versées préalablement sur un compte bancaire local.

Alors que les pénuries se sont aggravées avec l'absence de touristes, les boutiques en devises sont généralement les mieux achalandées... ce qui n'empêche pas les longues files d'attente, de plusieurs heures minimum.

"En unifiant le taux de change au niveau surévalué où il se trouvait déjà, on crée la possibilité que fonctionne un marché souterrain où la devise américaine atteint un prix bien supérieur au taux officiel", explique à l'AFP l'économiste Mauricio De Miranda, de l'université Javeriana de Cali (Colombie).

Durant la Période spéciale, fameuse crise économique des années 1990 provoquée par l'effondrement du bloc soviétique, Cuba avait déjà connu une frénésie du dollar, qui avait grimpé jusqu'à 150 pesos cubains.

Jusqu'où s'envolera-t-il cette fois? "C'est très difficile à estimer", car "cela dépend à quelle vitesse et à quel niveau remontent les recettes en devises du pays", répond l'économiste.

- "Carte blanche au marché noir" -

Le problème est aussi qu'il est quasiment impossible d'acquérir légalement le billet vert sur l'île: il n'est vendu ni dans les banques ni dans les bureaux de change. Seuls les Cubains et étrangers en partance pour un autre pays ont le droit d'acheter 300 dollars.

"Ce n'est pas possible de parler de réforme monétaire quand la Banque centrale du pays ne peut offrir la devise étrangère au taux de change établi officiellement", critique Mauricio De Miranda.

"C'est une erreur absurde et grave de politique économique" qui donne "carte blanche au marché noir".

L'économiste Ricardo Torres, de l'université de La Havane, l'illustre avec un exemple concret: "Pour le propriétaire d'un commerce qui doit acheter des bières, l'unique moyen d'accéder aux dollars est sur le marché noir, et sur le marché noir le dollar ne vaut pas 24 pesos".

Et "cette différence importante, il faut ensuite la répercuter sur le prix du produit" pour les clients.

Résultat: la boisson, qui vaut normalement 24 pesos, est désormais vendue quatre fois plus cher dans les bars.

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