Accueil Actu

Scandale de l'amiante: le dossier Eternit se solde par un non-lieu

Au terme de plus de 20 ans d'enquête, des juges d'instruction parisiens ont rendu une ordonnance de non-lieu pour les responsables d'Eternit, groupe spécialisé dans l'amiante et un des premiers à avoir été visé par une plainte contre ce matériau cancérigène.

Comme dans d'autres non-lieux ordonnés ces dernières années, les trois magistrats chargés des investigations fondent leur décision sur l'"impossibilité de dater l'intoxication des plaignants".

Dès lors, "il apparaît impossible de déterminer qui était aux responsabilités au sein de l'entreprise (...) et quelles réglementations s'imposaient à cette date inconnue", estiment-ils dans leur ordonnance datée du 10 juillet, consultée par l'AFP.

"En tout état de cause, les investigations menées au cours de l'instruction ont démontré qu'aucune faute de nature pénale ne pouvait être imputée à une ou à plusieurs personnes physiques ou morales en lien avec la société Eternit", écrivent-ils encore.

Dans ce dossier, cinq anciens directeurs de site ou dirigeants de la société, ainsi que la personne morale Eternit avaient été mis en examen pour homicides et blessures involontaires, tandis que six membres du groupe et quatre anciens inspecteurs du travail avaient été placés sous le statut intermédiaire de témoin assisté.

Cette décision "n'est pas une surprise" depuis qu'un rapport d'expertise soulevait "une faille dans le lien de causalité" entre la date des intoxications et les personnes aux responsabilités à l'époque, a réagi auprès de l'AFP Jean-Yves Dupeux, avocat de deux anciens dirigeants mis en cause, dont l'un est décédé depuis. "C'est triste pour les victimes mais cela me paraît juridiquement imparable", a-t-il ajouté.

Le dossier Eternit est hautement symbolique: il s'agissait du premier producteur français d'amiante-ciment jusqu'à l'interdiction de la fibre en 1997, et l'un des premiers visés par une plainte du genre, déposée en octobre 1996 par d'anciens salariés.

Autre dossier emblématique, celui de l'usine normande de Valeo-Ferrodo à Condé-sur-Noireau (Calvados): en septembre, le parquet de Paris a aussi requis un non-lieu général.

- Citation directe -

Dans un communiqué, l'Association des victimes de l'amiante et autres polluants (AVA) a annoncé qu'elle allait interjeter appel, estimant que le non-lieu concernant Eternit, comme d'autres ordonnés auparavant, reposait sur une "erreur majeure d'interprétation des données scientifiques".

Selon l'association, "c'est l'exposition dans son entier qui contribue à la maladie, et toutes les personnes à l'origine de cette exposition ont une responsabilité pénale".

L'AVA a aussi rappelé qu'elle déposerait une "citation directe visant les responsables nationaux de la catastrophe sanitaire de l'amiante", une procédure destinée à permettre la tenue d'un procès sans passer par une instruction pénale. A charge pour les plaignants de collecter et de présenter les éléments de preuve à l'audience.

Selon l'association, plus de 1.000 victimes se sont déjà jointes à cette citation, qui devrait être déposée au cours de la première semaine de septembre.

Le parquet et les juges d'instruction cherchent à "faire durer les procédures le plus longtemps possible pour qu'il n'y ait plus personne à juger", estime l'association, qui souligne que les "responsables (...) décèdent les uns après les autres".

En janvier, lorsqu'ils avaient annoncé leur intention de déposer cette citation directe, les avocats Antoine Vey et Eric Dupond-Moretti, avaient expliqué qu'elle viserait les protagonistes qui ont selon eux "anesthésié" les services de l'Etat dans les années 1980 et 1990 "pour faire reculer au maximum l'interdiction de l'amiante", finalement intervenue en France en 1997 alors que son caractère cancérogène était connu depuis les années 1970.

Dans leur viseur: d'anciens membres du comité permanent amiante (CPA) décrit dans un rapport sénatorial de 2005 comme un "lobby remarquablement efficace" de l'amiante et le promoteur de son "usage contrôlé".

Dissous en 1995, il comptait dans ses rangs des industriels, des décideurs publics, des scientifiques et des membres d'organisations professionnelles. Huit anciens membres du CPA ont été mis en examen avant de voir leurs poursuites annulées par deux fois, des décisions confirmées en décembre par la Cour de cassation.

En 2012, les autorités sanitaires estimaient que l'amiante pourrait provoquer, d'ici à 2025, 3.000 décès chaque année causés par des cancers de la plèvre ou des cancers broncho-pulmonaires.

À lire aussi

Sélectionné pour vous