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Turquie: la livre chute, nouveau plus bas historique

La livre turque a brutalement chuté vendredi, perdant quelque 7% de sa valeur face au dollar, sur fond de crise diplomatique entre la Turquie et les Etats-Unis et d'inquiétudes face à d'éventuelles répercussions sur des banques européennes.

La devise turque a brièvement franchi dans la matinée pour la première fois la barre de 6 pour un dollar après avoir perdu quelque 12% de sa valeur. Elle s'est ensuite quelque peu ressaisie et s'échangeait à la mi-journée à 5,91 pour un billet vert, accusant une baisse d'environ 7%.

La livre turque, dont la valeur a fondu de plus d'un tiers face au dollar et à l'euro depuis le début de l'année, avait déjà cédé plus de 5% face au billet vert jeudi.

Cette chute spectaculaire survient alors que la Turquie est embourbée dans une grave crise diplomatique avec les Etats-Unis au sujet d'un pasteur américain détenu par Ankara. Ces deux alliés au sein de l'Otan ont imposé la semaine dernière des sanctions réciproques contre des responsables gouvernementaux.

Une rencontre entre de hauts diplomates américains et turcs mercredi n'a débouché sur aucune avancée notable en vue d'apaiser les tensions et des observateurs s'attendent désormais à ce que Washington impose de nouvelles sanctions pour accroître la pression afin de faire libérer le pasteur.

Outre ces tensions diplomatiques, les marchés s'inquiètent de la direction de la politique économique du président Recep Tayyip Erdogan alors que la banque centrale turque rechigne à relever ses taux pour contrer une inflation qui a pourtant atteint près de 16% en juillet en rythme annuel.

La chute de la livre vendredi "montre que les investisseurs sont de plus en plus inquiets de l'imminence d'une crise monétaire totale", souligne dans une note David Cheetham, analyste chez XTB.

- Craintes de contagion -

Devant cette situation, le président turc Recep Tayyip Erdogan affichait un air de défi, affirmant que la Turquie ne perdrait pas "la guerre économique", selon des propos rapportés par les médias locaux.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, le chef de l'Etat avait provoqué un haussement de sourcil en déclarant que l'agonie de la livre turque était due à des "campagnes" hostiles.

"S'ils ont des dollars, nous, nous avons notre peuple, nous avons le droit et nous avons Allah !", a-t-il lancé, des déclarations peu susceptibles de rassurer les marchés.

M. Erdogan doit prononcer deux discours dans l'après-midi dont chaque mot sera scruté par les marchés qui attendent désormais des mesures fortes du gouvernement pour soutenir la livre.

L'inquiétude a dépassé les frontières turques vendredi avec la publication d'un article du Financial Times selon lequel la Banque centrale européenne est préoccupée par une éventuelle contagion de cette crise monétaire à certaines banques européennes très présentes en Turquie.

Des allemandes Deutsche Bank et Commerzbank aux italiennes UniCredit et Intesa Sanpaolo, en passant par l'espagnole Santander, les titres de grandes banques européennes évoluaient dans le rouge vendredi dans la matinée, pénalisés par la crise de la livre turque.

"Les investisseurs voyaient la crise monétaire en Turquie comme un problème local. Cependant, il semble que la rapidité de la chute (de la livre) renforce les inquiétudes d'une possible exposition de banques européennes au système bancaire turc", souligne Michael Hewson, un analyste de CMC Markets.

- Crise de confiance -

La chute de la livre survient à quelques heures d'un discours attendu du ministre des Finances Berat Albayrak, également gendre du président Erdogan, qui doit présenter le "nouveau modèle économique" du pays.

Depuis sa nomination à ce poste après la réélection de M. Erdogan en juin, M. Albayrak s'est efforcé sans succès d'apaiser les marchés qui voient d'un mauvais oeil la mainmise croissante sur les affaires économiques du président dont les positions peu orthodoxes inquiètent.

M. Erdogan, qui s'est octroyé l'ensemble des pouvoirs exécutifs aux termes d'une révision constitutionnelle controversée et nomme ainsi directement le gouverneur de la Banque centrale, est ainsi un "ennemi" autoproclamé des taux d'intérêt.

Or, de nombreux économistes appellent de leurs voeux une hausse des taux d'intérêt de la Banque centrale afin d'enrayer l'inflation, un levier traditionnellement utilisé à travers le monde pour maîtriser la hausse des prix et soutenir la monnaie nationale.

L'agonie de la livre turque cette semaine n'a quasiment pas été traitée par les principales chaînes de télévision et les journaux à grande diffusion, pour la plupart contrôlés par le pouvoir.

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