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"J'avais un bébé qui risquait de mourir dans mon ventre": en Andorre, le combat des femmes privées d'avortement

"J'avais un bébé qui risquait de mourir dans mon ventre, mais je n'avais pas le droit de le faire enlever": en Andorre, petite principauté pyrénéenne entre la France et l'Espagne, les femmes n'ont pas le droit d'avorter, même en cas de viol ou de danger pour leur santé.

"J'avais annoncé ma grossesse à tout le monde", raconte à l'AFP Sonia, dont le prénom a été changé. Au cinquième mois, elle apprend que son foetus n'est pas viable, car atteint d'une maladie incurable. Elle prend alors la "difficile décision" d'avorter.

Mais si Andorre est prisée pour ses pistes de ski et son statut fiscal attractif, la principauté de 85.500 habitants est moins connue pour un triste record.

Elle est l'un des derniers états européens - avec Malte, Saint-Marin et le Vatican - à interdire totalement l'avortement, même en cas de viol, inceste, maladie du foetus ou danger de mort pour la mère. Un délit passible de 6 mois de prison.

"Vous venez dans notre pays acheter des cigarettes, nous venons dans votre pays acheter nos droits", dénonce dans un slogan l'association Stop Violencies, qui milite pour la légalisation de l'avortement.

Comme environ 120 femmes andorranes par an, Sonia a dû aller avorter en Catalogne.


"J'aurais dû attendre qu'il meure"

"J'avais un bébé qui risquait de mourir dans mon ventre, mais je n'avais pas le droit de le faire enlever", s'indigne la trentenaire, "j'aurais dû attendre qu'il meure, le garder quelques jours dans mon ventre le temps qu'on s'en rende compte, puis accoucher d'un bébé mort".

"C'est une torture, il y a beaucoup d'organisations internationales qui le disent, et cela viole les droits humains", martèle Vanessa Mendoza Cortès, présidente de Stop Violencies.

"On doit avoir le droit d'avorter dans nos hôpitaux, pas aller à Barcelone avec la honte, la culpabilité", réclame-t-elle, dénonçant un système "hypocrite" qui tolère plus ou moins l'avortement à l'étranger et crée des disparités selon les catégories sociales.


"Sans suivi psychologique"

Pratiquer un avortement en Espagne coûte entre 600 et 1.000 euros: une somme généralement remise directement dans une enveloppe au médecin. Maria, qui a choisi d'avorter à 18 ans, a "eu la chance" de réunir la somme nécessaire grâce à une collecte au sein de sa famille, mais explique que c'est "souvent loin d'être le cas". 


Aujourd'hui âgée de 27 ans, elle raconte, "choquée", que son gynécologue andorran l'avait forcée à écouter les battements du coeur de l'embryon pour la dissuader d'avorter, puis l'avait "expédiée à Barcelone, sans plus d'explication".

Après son opération en Espagne, c'est dans un "état proche du désespoir" que Maria avait dû faire trois heures de route pour rentrer dans son pays, "sans aucun suivi psychologique ni médical", alors qu'une "très grosse douleur" lui bardait le ventre.


La "crainte" d'une instabilité politique

En Andorre, les médecins risquent trois ans de prison et jusqu'à cinq ans d'interdiction à exercer s'ils pratiquent un avortement. Renseigner les patientes ou leur donner une adresse à l'étranger est considéré comme un délit, explique à l'AFP le docteur Eric Sylvestre Dolsa. 

"En cas de danger pour la mère, c'est évident que ça pose un gros problème à mon éthique de médecin, si on applique la loi de manière stricte", confie le médecin généraliste, un des seuls à s'être positionné clairement en faveur de l'avortement "quels qu'en soient les motifs".

Car le débat au sein des médecins andorrans n'est "pas vraiment ouvert", en raison de la "crainte" d'une instabilité politique dans le pays en cas de légalisation.

Dans cette principauté parlementaire, deux coprinces se partagent un pouvoir essentiellement représentatif. L'un deux, l'évêque d'Urgell Mgr Joan-Enric Vives, est farouchement opposé à la légalisation de l'avortement.


"Faites quelque chose pour les femmes andorranes"

"Le coprince épiscopal a dit qu'il abdiquerait si cela arrivait", affirme Elisa Muxella, présidente de l'institut des droits de l'Homme en Andorre. 

"Le gouvernement se réfugie derrière cette excuse et dit que si on adopte l'avortement, cela mettrait en péril les institutions", s'indigne Mme Muxella, qui invite à "sortir le débat de la querelle politique" et à "enfin parler du fond".

"Moi ce que je voudrais, c'est que le second coprince (le président français, ndlr) se positionne sur la question et nous soutienne", lance Sonia. "M. Macron, faites quelque chose pour les femmes andorranes, je ne veux pas que mes filles vivent la même chose que moi !".

A un an des élections législatives, les militantes féministes de Stop Violencies ont réussi à remettre la question de la légalisation sur le devant de la scène. Dans le cadre de la journée mondiale du droit à l'avortement (28 septembre), elles organisent samedi la toute première manifestation en faveur de sa dépénalisation en Andorre.

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