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"La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière": 27 migrants y ont perdu la vie

La mort de 27 migrants mercredi dans le naufrage de leur embarcation dans la Manche, une tragédie inédite sur cette voie migratoire, a provoqué une onde de choc à Londres et Paris, qui sont convenus de "l'urgence" d'intensifier la lutte contre ce trafic après des semaines de tension. Ces 3 derniers mois, les tentatives de traversées à bord de ces petites embarcations ont doublé. Pourquoi ? Comment en est-on arrivé là ? Que fait l’Europe face à cette situation ?

Le président français Emmanuel Macron avait dans un premier temps annoncé un bilan de 31 morts, mais celui-ci a été revu à la baisse par le ministère de l'Intérieur. Parmi les victimes figurent 17 hommes, dont deux décédés à l'hôpital, sept femmes et "trois jeunes", dont on ignore encore l'âge exact, a précisé à l'AFP la procureure de Lille (nord), Carole Etienne. Deux rescapés "apparemment somalien et irakien" étaient aussi hospitalisés et devraient pouvoir être entendus sous peu, a-t-elle indiqué.

"La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière", a réagi Emmanuel Macron, réclamant "une réunion d'urgence des ministres européens". Il a promis que tout serait "mis en oeuvre pour retrouver et condamner les responsables" de ce naufrage au large de Calais, qualifié de "tragédie" par le Premier ministre Jean Castex.

"Choqué, révolté et profondément attristé", le Premier ministre britannique Boris Johnson a assuré sur Sky News vouloir "faire plus" avec la France pour décourager les traversées illégales, pointant les désaccords franco-britanniques.

Lors d'un entretien dans la soirée, M. Johnson et M. Macron "ont convenu de l'urgence d'intensifier les efforts conjoints pour empêcher ces traversées mortelles", selon un porte-parole de Downing Street. Ils ont aussi insisté sur "l'importance d'une collaboration étroite avec les voisins belges et néerlandais ainsi qu'avec les partenaires du continent". 

Londres et Paris s'étaient déjà mis d'accord récemment pour renforcer leurs efforts afin de tarir les départs, après l'arrivée le 11 novembre de 1.185 migrants en Angleterre, un record.

"Nous avons récupérés 6 corps à la dérive"

Le drame s'est déroulé sur un "long boat", un bateau gonflable fragile au fond souple dont l'utilisation par les passeurs s'est accru depuis l'été. Le bateau était parti de Dunkerque selon une source proche du dossier. 

"Nous avons récupéré six corps à la dérive", a raconté Charles Devos, le patron de la vedette Notre-Dame du Risban de la SNSM de Calais, décrivant "une embarcation pneumatique carrément dégonflée". Deux hélicoptères et trois bateaux ont notamment été dépêchés lors du sauvetage.

Une cinquantaine de personnes se sont rassemblées dans la soirée près du port, munies de bougies. "Darmanin, assassin, t'as du sang sur les mains", ont-elles notamment scandé. La Manche "est en train de se transformer en cimetière à ciel ouvert", s'est alarmé Pierre Roques, de l'Auberge des Migrants, une association locale.

L'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), "choquée et bouleversée", a estimé que "seuls les efforts coordonnés et solidaires (...) permettront de prévenir de nouvelles tragédies".

Calais, ville endeuillée 

Au lendemain du drame, la ville de Calais est endeuillée. Les Calaisiens ressentent de la colère, de la tristesse et un sentiment d’impuissance face à ces drames qui se multiplient depuis des années dans leur ville, alors au cœur de la crise migratoire, constate notre envoyé spécial Corentin Simon, sur place. Il y aussi "un sentiment que rien ne bouge et que les autorités n’agissent pas, un sentiment d'impuissance", ajoute notre journaliste.  

Ce matin, notre envoyé spécial a d'ailleurs "vu des réfugiés installés un peu partout autour du port". Il a pu constater leurs "conditions de vie très difficiles" : "Ils ont parfois à peine une tente pour s'abriter", précise-t-il. Une situation qui dure depuis trop longtemps, selon les associations. 

7.800 migrants ont été secourus cette année. Difficile d’avoir un chiffre précis sur les tentatives de traversée, mais selon les autorités françaises, ils sont 31.500 à avoir tenté de rejoindre l’Angleterre depuis le début de l’année. C’est 3 fois plus qu’en 2020 (9.500 migrants ont tenté de faire la traversée). Et 39 fois plus qu’en 2018 (seulement 600). Selon Londres, 22.000 migrants ont réussi la traversée sur les dix premiers mois de cette année.

Une forte hausse mais une explication claire : "Il y a aujourd’hui des parkings sécurisés sur les autoroutes qui mènent vers Calais. Les contrôles dans les camions et les conteneurs qui embarquent sont sans doute plus strictes. Il n’y a pas forcément plus de migrants mais peut être une nouvelle visibilité du passage lui-même parce qu’il se fait par voie maritime, sur des bateaux, avec des accidents en mer. Tout cela est sans doutes plus visible", explique Denis Duez, expert en migrations à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. 

Comment en est-on arrivé là?

Les tentatives de traversées de la Manche à bord de petites embarcations ont doublé ces trois derniers mois, avait récemment mis en garde le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, Philippe Dutrieux. 

Sur la plage, une trentaine de personnes, des hommes, des femmes, des enfants, et même, des bébés, courent avec une embarcation pneumatique bien trop petite. Mais tous montent à bord et se lancent dans la traversée. Une scène devenue le quotidien sur cette côte française. A la tombée de la nuit, les tentatives se multiplient.

Policiers et garde côtes surveillent les plages mais semblent bien démunis. Ces migrants sont prêts à tout pour atteindre l’autre côté de la Manche : le Royaume Uni. Comme ici, à Douvres, à 34 kilomètres à peine, à la recherche de leur rêve anglais. 

Pourquoi les migrants cherchent-ils à rejoindre à tout prix le Royaume-Uni ? Denis Duez, expert en migrations, livre son analyse: "On met généralement en évidence un marché de l’emploi plus dynamique dans lequel on s’intègrera plus facilement. La langue, l’anglais, est maîtrisée par beaucoup de migrants. Des communautés d’accueil nationales déjà présentes qui pourront aider les migrants à trouver leur place au Royaume Uni. Et puis, l’absence de contrôle de sécurité au Royaume-Uni, enfin pas vraiment une absence mais des contrôles de sécurité plus encadrés dans un contexte où la carte d’identité n’existe pas".

Pour les acteurs de terrain, la migration existera toujours. La seule solution possible pour éviter la perte de vie et la prise de risque, serait d’ouvrir des voies légales de l’immigration, alors encadrée et protégée.

Il s'agit du naufrage de migrants le plus meurtrier depuis 2018 (pour la traversée de la Manche)

Le drame, redouté par les autorités et les associations, est de loin le plus meurtrier depuis l'envolée en 2018 des traversées migratoires de la Manche, face au verrouillage croissant du port de Calais et d'Eurotunnel, empruntés jusque-là par les migrants tentant de rallier l'Angleterre.

Les navires de sauvetage ramenant les victimes ont accosté en soirée dans le port de Calais. Les dépouilles étaient dans la nuit en cours de transfert à l'institut médico-légal de Lille pour autopsie. La Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille a été saisie de l'enquête, ouverte pour "aide à l'entrée et au séjour irréguliers en bande organisée", "homicide et blessures involontaires" et "association de malfaiteurs". L'épave a été saisie et sera examinée pour éclaircir les causes du naufrage, a indiqué la procureure.

Avant ce naufrage, le bilan humain depuis janvier s'élevait à trois morts et quatre disparus, après six morts et trois disparus en 2020.

Selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, quatre passeurs soupçonnés d'être en lien avec la tragédie ont été arrêtés, mais la procureure n'a pas confirmé cet élément.

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