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A Avignon, le naufrage d'une famille comme métaphore de l'Europe

"Le chaos arrive": une pièce sur l'impuissance d'une famille face à la montée du fascisme au début du 20e siècle a inauguré jeudi le festival d'Avignon 2019, un texte fleuve écrit par dramaturge hanté par la poussée actuelle des populistes en Europe.

Pendant quatre heures --avec un entracte--, un père de famille écrasant, ses enfants et ses beaux-enfants, tous des philosophes, compositeurs, scientifiques, s'affrontent et se déchirent dans "Architecture". La pièce inaugure la 73e édition (4-23 juillet) du prestigieux festival de théâtre, un spectacle d'ouverture traditionnellement donné à la cour d'honneur du palais des Papes, lieu mythique de naissance du festival en 1947.

Pour ce spectacle qui n'est pas sans longueurs, un castingde rêve: Jacques Weber joue le patriarche aux côtés d'Emmanuelle Béart, Denis Podalydès, Audrey Bonnet, Stanislas Nordey, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane et un Laurent Poitrenaux particulièrement inspiré.

Le texte de Pascal Rambert, l'un des dramaturges français vivants les plus joués au monde, penche par moments vers la beauté et la poésie, mais est surtout très brutal: "Nous sommes dans un couloir angoissant"; "le monde horrible dans lequel nous vivons"; "nous allons nous entredévorer" et "cette époque est effrayante pour le langage, tout le monde hurle", "le chaos arrive", clament les personnages qui finissent soit assassinés, déportés ou suicidés.

Conscients d'être "aveugles face aux slogans", ils représentent chacun avec leur tourmente personnelle l'impact de la désintégration du monde sur leur langage, leur corps.

Située entre 1911 et juste avant l’Anschluss en 1938, avec un mobilier de l'époque, il ne se s'agit pas toutefois d'une pièce historique, précise à l'AFP M. Rambert qui en 2016 a obtenu le prix du théâtre de l'Académie française.

"Je l'ai construite de l'inquiétude que j'ai en 2019 face à ce qui se passe un peu partout en Europe, dans les pays où je joue mes pièces comme en Italie ou en Espagne, où Vox (parti d'extrême-droite) a remporté de très grands scores" en avril, précise l'auteur de 57 ans.

"Si à une époque aussi brillante et créative, on n'a pas empêché l'arrivée du nazisme, que dire de maintenant? C'est facile de dire qu'aujourd'hui ce n'est pas le 3ème Reich. Mais il y a quelque chose de plus insidieux", assure cet habitué d'Avignon.

- "Le faux devient vrai" -

Ses pièces, comme "Une (micro) histoire économique du monde" en 2010, "Clôture de l'amour" qui avait triomphé au festival en 2011 puis connu un succès mondial avec sa traduction en 23 langues ou encore "Répétition" en 2014, ont été jouées partout, du Mexique à Taïwan en passant par l'Egypte.

"Travailler dans tous ces pays me renvoie à un moment de l'histoire que je vis et que je trouve inquiétant, et mes pièces sont conscientes de l'état du monde", assure le metteur en scène qui se dit un "Européen extrêmement convaincu".

Et en tant que dramaturge, il affirme que son rôle est de "redresser le langage" à une époque dominée par la désinformation, où le faux devient vrai".

Le choix des acteurs n'est pas fortuit: il cré des pièces avec et pour ces grands interprètes depuis 2011.

Il a même réussi à convaincre Jacques Weber qui, pendant 50 ans de carrière, a boycotté le festival et notamment la cour d'honneur en raison selon lui de la mauvaise sonorisation.

Rambert n'est pas le seul au festival à traiter des inquiétudes à l'égard de l'Europe: Roland Auzet dans "Nous l'Europe, banquet des peuples" sur un texte du prix Goncourt Laurent Gaudé qui questionne le populisme, la démocratie et la représentativité.

Le festival, qui sous son directeur depuis 2013 Olivier Py est plus orienté vers les questions sociales et politiques que dans le passé, donne la parole cette année à Kirill Serebrennikov, enfant terrible du théâtre russe qui est interdit de voyage hors de Moscou pour une affaire controversée de détournement de fonds, et dont la pièce "Outside", sur le photographe chinois censuré Ren Hang qui s'est suicidé à 29 ans en 2017, sera présentée à Avignon.

A défaut de têtes d'affiche -à l'exception de la pièce d'ouverture-, la prestigieuse manifestation théâtrale met en avant de potentielles pépites qui peuvent créer la surprise.

Subventionné à 56%, le festival a connu un taux de fréquentation dépassant les 95% en 2018.

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