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A bord de l'Abeille Languedoc, sentinelle des naufragés de la Manche

D'abord un mince trait noir à l'horizon. Puis des silhouettes, des bras qui s'agitent et appellent à l'aide. Perdus dans la Manche, des migrants sont entassés par dizaines sur un bateau pneumatique à l'arrêt. Les marins de l'Abeille Languedoc font cap pour les secourir.

Ciel dégagé, mer calme, cinq noeuds de vent: les conditions étaient idéales pour tenter la traversée vers l'Angleterre, jurent d'une même voix les hommes d'équipage du remorqueur affrété par la Marine nationale.

En ce lundi matin où le soleil émerge sur la Manche, un message radio arrive à 7H20 du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) Gris-Nez: une embarcation est en panne moteur au large du Cap Blanc Nez. Il faut secourir une cinquantaine de migrants à bord.

Le commandant prend route vers les coordonnées GPS transmises par le Cross.

"L'Abeille fait 4.000 tonnes, c'est un éléphant qui suit une petite souris", explique Pascal Le Gentil, patron de l'imposant bâtiment de 60 mètres de long et 14 de large. Il scrute l'horizon à la recherche de la petite embarcation.

Covid oblige, les marins revêtent une combinaison et des masques FFP2. Quatre fusiliers marins, des militaires armés, se positionnent sur la plage arrière du bateau, là où débarqueront les naufragés. Ils garantissent la protection de l'équipage.

- Fillette en larmes -

Il est 8H00 passé quand le capitaine aperçoit au loin la minuscule embarcation qui flotte dans le silence au milieu du détroit. A bord sont entassés 56 migrants, venus d'Ethiopie, d'Irak, d'Erythrée, du Vietnam ou encore du Nigeria. Ils font des grands signes de la main, implorant de l'aide.

Quand on va les voir, "on essaie de les rassurer au maximum, de leur dire +ça y est, c'est fini, on vous récupère, vous êtes en sécurité avec nous+", raconte Nicolas, second capitaine, qui prend place à bord d'un pneumatique pour les secourir. Puis "on évalue l'état des personnes à bord et on priorise les gens à reprendre. En priorité, ce sont les femmes et les enfants".

Ce jour-là, une femme enceinte et cinq enfants sont les premiers à mettre pied sur le navire. Parmi eux, une fillette de 7 ou 8 ans, avec un maigre anorak vert et des barrettes dans les cheveux. Elle fond en larmes.

L'équipe la tient par l'épaule pour la conduire à l'intérieur du bateau, où femmes et enfants sont mis au chaud. Certains s'enroulent dans des couvertures de survie. "It's my mama, my mama !", crie un jeune adolescent en voyant sa mère embarquer.

Les hommes sont fouillés par les militaires, puis conduits à l'arrière. Leurs affaires les plus précieuses dans des pochettes plastiques. Certains, sans chaussures, sont gelés. L'eau est à 11 degrés.

- "Sans eau, sans rien..." -

Il s'agissait de la première tentative de Mohamed, un Egyptien de 28 ans. Pas certain qu'il recommence.

"Trop de stress", raconte le jeune homme, qui voudrait rejoindre l'Angleterre "pour travailler" et "vivre mieux". "La situation dans le bateau était très difficile, sans eau, sans rien...", raconte-t-il.

Il explique être parti d'une plage au petit matin. Mais après deux heures de navigation le moteur s'est arrêté, contraignant les passagers à appeler les secours au téléphone portable. Tous les migrants connaissent les numéros d'urgence avant de se lancer en mer.

Malgré le risque, le nombre de traversées a triplé en 2021, avec plus de 28.000 migrants arrivés en Angleterre contre 8.466 en 2020. 38 sont morts, dont 27 victimes d'un même naufrage le 24 novembre.

Déjà plus de 7.000 exilés ont rejoint les côtes britanniques depuis janvier, même si les autorités constatent ces toutes dernières semaines une baisse des traversées, sans explication notable.

Une dizaine de rotations entre l'embarcation de fortune et l'Abeille Languedoc sont nécessaires pour sauver les 56 migrants. Puis le bateau en panne est remorqué avant d'être volontairement crevé.

Les femmes et les enfants se reposent dans un petit salon. Le calme est de retour, certains s'endorment, blottis contre leur mère.

Les marins proposent des biscuits, des vêtements secs. Et des peluches pour les enfants, dont le visage s'illumine à nouveau.

Les 56 naufragés sont débarqués à quai à Boulogne-sur-Mer puis pris en charge par les pompiers et la police aux frontières.

Avant de quitter le port, certains récupèrent leur gilet de sauvetage. Prêts à recommencer.

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