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Attendre et vivoter à Moria, "honte" migratoire pour la Grèce et l'Europe

"Pourquoi les Grecs ne font-ils rien alors qu’ils reçoivent beaucoup d’argent pour s’occuper de nous ?" : à Moria, Jamal, 53 ans, fait écho à la volée de critiques que vaut à Athènes la situation dans ce camp migratoire sur l'île de Lesbos, le plus important de Grèce.

Arrivé il y a trois semaines avec sa fille de 21 ans, aveugle et hémiplégique, ce Somalien fait pourtant partie des quelque 2.000 chanceux, dont la Grèce vient de décider d'accélérer le transfert sur le continent.

L'enjeu : relâcher un peu la pression sur les îles de la Mer Egée, où les arrivées se poursuivent de Turquie en dépit du pacte conclu en 2016 entre Ankara et l'UE pour couper cette route migratoire. Celles de Lesbos et de Samos abritent les camps les plus chargés.

Plus de 20.000 réfugiés et migrants - dont plus de 8.000 pour le seul centre de Moria, d'une capacité de 3.000 places - y sont du coup confinés pendant des mois.

Théoriquement voués au renvoi en Turquie, ils sont en fait en majorité, droit humanitaire oblige, éligibles à l'accueil en Grèce.

Dans l'attente de l'octroi du droit d'asile et de son départ prévu pour le 8 octobre de Lesbos à destination d'Athènes ou Thessalonique (nord), Jamal doit se contenter avec un groupe de compatriotes d'une tente sombre et surpeuplée alignée avec des centaines d'autres en rangées compactes sur un terrain longeant les grilles du camp "officiel" de Moria.

Les emplacements s'y revendent entre 60 et 100 euros. Mais la première pluie risque d'en faire un champ de boue et, déjà, la levée d'un vent froid d'automne glace les nuits.

Tous y dénoncent les "heures" de queue quotidienne pour un repas "de mauvaise qualité", "les douches froides et les toilettes sales".

- Dépressions et violences -

La fille de Jamal est quant à elle hébergée dans une structure adaptée dans l'enceinte du centre de Moria.

Mais les conditions à l'intérieur du camp, qui fait partie du maillage frontalier européen, sont jugées tout aussi indignes, sinon pire qu'à l'extérieur par toutes les parties prenantes, du personnel aux autorités locales.

Dans un appel commun, 19 ONG y ont récemment dénoncé une situation "honteuse" pour la Grèce et l'Europe dans son ensemble.

"Attendre, attendre, il faut toujours attendre. Pour l'asile, pour les soins. Moi, cela fait un an, je veux partir", lâche Sylvie, 24 ans, qui a fui la République démocratique du Congo.

Arrivée avec une blessure à l'œil, elle constate que son état empire : "Ici, je suis mal soignée, je crois qu'ils ne m'ont pas donné les bons médicaments", se plaint-elle.

Dépressions, tentatives de suicide, violences : l'ONG Médecins sans Frontières avec d'autres vient de mettre en garde contre les souffrances ainsi infligées à des populations déjà souvent traumatisées.

Le tiers des personnes résidant à Moria sont des enfants, la moitié des familles, originaires en majorité d'Afghanistan et de Syrie.

- Reprise des flux -

Pour se dédouaner, la Grèce souligne être confrontée à une reprise des flux, alors qu'un accord au sein de l'UE pour une meilleure répartition migratoire se fait toujours attendre, sans percée en vue.

Les arrivants étaient 21.737 depuis le début de l'année à la mi-septembre, contre 17.563 pour toute l'année 2017, selon le ministère de la Politique migratoire.

La direction du camp met aussi en avant les quelques havres offerts aux exilés : cours de musique, leçons pour enfants, cabinets dentaire et ophtalmologique.

"Nourriture et eau gratuites", pécule de 240 euros accordé sur des fonds européens et de l'ONU : devant la tente bien rangée sous laquelle elle habite avec sa fille Filsan, neuf ans et demi, et ses deux garçons d'un et trois ans, la Somalienne Mandek s'estime plutôt chanceuse.

Même si elle espère très vite quitter le camp et rêve d'Allemagne.

Il n'en aura pas moins fallu le flot des critiques et une menace de fermeture par la préfecture pour que le système d'évacuation des eaux usées soit remis en état, après des semaines d'avarie ayant empesté tout le camp.

Résidents comme humanitaires redoutent du coup qu'une fois de plus l'arrivée de l'hiver ne soit mal anticipée, exposant comme les années précédentes les nouveaux pensionnaires à des conditions de vie très difficiles jusqu'à ce que l’État finisse par réagir.

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