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Au Daguestan, la tradition des funambules se perd

Vêtu d'une veste et d'un pantalon à paillettes, Mouhamed avance avec son vieux vélo rouge sur une corde installée plusieurs mètres au-dessus du sol. L'adolescent perpétue une tradition vieille de plusieurs siècles au Daguestan, que beaucoup craignent de voir disparaître.

Dans son village reculé de Tchakhtchakh, dans le sud de cette république montagneuse du Caucase russe, Mouhamed Balikhanov est, à 13 ans, l'un des rares funambules à encore pratiquer cette discipline ancestrale.

La légende raconte que pour les Daguestanais, marcher sur une corde était surtout un bon moyen de prendre des raccourcis entre deux villages à flanc de montagne.

"Au Daguestan, marcher sur une corde était la 'route des montagnards'. C'est comme ça que ça a été inventé", dit Askhabali Gassanov, qui dirige une école de cirque dans la capitale régionale, Makhatchkala.

La tradition s'est perpétuée au 20e siècle grâce au cirque, très populaire en URSS.

Aujourd'hui encore, l'un des plus célèbres funambules russes, Rassoul Abakarov, est Daguestanais. Début septembre, il a marché le long d'une corde à 100 mètres de hauteur entre deux gratte-ciel de Grozny, la capitale de la Tchétchénie.

A Tchakhtchakh, la tradition aurait été depuis longtemps oubliée sans les efforts de Iamoudine Ekhmetkhanov, un acrobate de 68 ans qui enseigne maintenant ses secrets à Mouhamed, le fils de son cousin.

L'adolescent est impressionnant. Pour s'échauffer, il commence par quelques exercices de gymnastique et saisit la corde dans ses mains, avant de se balancer en l'air. Puis vient une autre acrobatie, où il se tient debout sur une bassine en métal.

Mouhamed fait le funambule depuis deux ans et a déjà accompli des progrès incroyables, assure son entraîneur. "Il a un bel avenir et n'a peur de rien", déclare ce dernier, en saluant le "grand talent" de l'adolescent.

"Notre peuple respecte énormément la tradition funambule du Daguestan", poursuit Iamoudine Ekhmetkhanov, "heureux" de voir Mouhamed reprendre le flambeau. "Cela veut dire que ça ne va pas disparaître", ajoute-t-il dans un sourire.

- "A quoi ça sert ?" -

Le jeune funambule explique de son côté avoir voulu suivre cette voie parce que ses "grand-père et arrière-grand-père faisaient ça".

"Quand je serai adulte, je veux ranimer cet art pour que mes enfants, mes petits-enfants le pratiquent aussi", ajoute-t-il, disant rêver d'ouvrir une école spécialisée dans son village.

Pour l'instant, une seule école de cirque existe au Daguestan. Elle est située à Makhatchkala, se nomme Pekhlevan et a été fondée par Askhabali Gassanov, 64 ans, funambule depuis qu'il a 18 ans.

Dans son atelier au haut plafond et à la peinture écaillée, des groupes de filles et de garçons, en jean ou pantalon de survêtement, attendent leur tour. Sur la corde, une fille réussit une roue parfaite puis laisse sa place à deux autres, un voile de velours couvrant leur visage, qui s'entrainent ensemble.

Askhabali Gassanov s'occupe d'une troupe de huit enfants qui multiplie les démonstrations à travers la région, une des plus pauvres de Russie, avec l'espoir de maintenir en vie la tradition.

Mais lui-même n'est pas très optimiste. "C'est un talent qui se meurt, qui disparait, mais nous essayons" de le faire survivre néanmoins, explique-t-il.

Il avance plusieurs raisons pour expliquer la disparition des funambules au Daguestan, dont le soutien déclinant des pouvoirs publics, qui manquent de moyens.

Les autorités locales ont bien exprimé le souhait d'ouvrir un cirque à Makhatchkala et des écoles spécialisées dans la région mais le Daguestan a peu de ressources et dépend essentiellement de Moscou pour équilibrer son budget.

"Depuis 1995, j'ai frappé à toutes les portes des institutions gouvernementales et du ministère de la Culture, essayant de leur expliquer que le Daguestan est une république du cirque et qu'il devrait y avoir un cirque ici", déclare Askhabali Gassanov.

Les jeunes Daguestanais, confrontés à la pauvreté et au chômage, s'éloignent eux aussi de ces traditions en même temps qu'ils quittent en masse le Daguestan. "Les jeunes vont là où ils peuvent gagner plus", regrette le professeur.

Quand on leur parle de la tradition des funambules du Daguestan, ajoute-t-il, "ils se demandent: 'A quoi ça sert ?'".

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