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Brexit : Theresa May joue avec le feu en critiquant les députés

En accusant les députés britanniques d'être responsables de l'impasse sur le Brexit, la Première ministre Theresa May joue avec le feu car elle compte convaincre ces mêmes parlementaires d'adopter l'accord de retrait de l'Union européenne qu'ils ont déjà rejeté deux fois.

Lors d'une courte allocution à Downing Street mercredi soir, à neuf jours de la date prévue du Brexit, Theresa May s'est placée du côté du peuple contre le Parlement, s'attirant les foudres des parlementaires.

"Vous en avez marre des disputes, des jeux politiques et des querelles procédurales obscures", a déclaré Theresa May aux Britanniques. "Je suis de votre côté. Il est maintenant temps pour les députés de se décider", a-t-elle ajouté, espérant convaincre ses concitoyens de faire pression sur leurs élus pour qu'ils soutiennent l'accord de retrait.

Ceux-ci ont rejeté par deux fois, le 15 janvier et le 12 mars, l'accord conclu en novembre entre Theresa May et l'Union européenne, après 17 mois de difficiles négociations et qui a pour but d'organiser une sortie "ordonnée" de l'Union européenne, près de trois ans après le référendum qui a enclenché le Brexit en juin 2016.

La cheffe du gouvernement n'a pourtant pas perdu l'espoir de convaincre les députés et compte leur soumettre prochainement une troisième fois le texte. Son adoption conditionne l'octroi du report au 30 juin du Brexit qu'elle a réclamé aux dirigeants de l'UE, réunis en sommet à Bruxelles jeudi et vendredi, a expliqué le président du Conseil européen Donald Tusk.

Mais au lieu de les amadouer, Mme May a hérissé les députés. Anna Soubry, qui a quitté les Tories pour rejoindre le Groupe Indépendant récemment créé, a dénoncé "la plus malhonnête et clivante déclaration d'un Premier ministre".

C'est un "coup bas", a estimé sur la BBC l'ancien secrétaire d'Etat conservateur et europhile Sam Gyimah, pour qui "la démocratie est perdante quand une Première ministre se dresse contre la Chambre des Communes et critique les députés alors qu'ils font leur travail".

Pour le député travailliste Wes Streeting, son discours était "incendiaire et irresponsable".

- "Irresponsable" -

Mercredi, le conservateur europhile Dominic Grieve a même déclaré n'avoir "jamais été aussi honteux d'être membre du Parti conservateur", face à Theresa May qui ne cesse selon lui de "fustiger la Chambre pour sa mauvaise conduite".

Venant à sa rescousse, le ministre des Affaires étrangères Jeremy Hunt a expliqué à la BBC qu'elle exprimait son "extrême frustration".

Pour Anand Menon, professeur de politique européenne au King's College de Londres, la déclaration de May était "irresponsable" pour deux raisons. "Premièrement, ce non-sens +peuple contre parlement+ n'aide personne et réduit à des clichés infantiles la réalité du fonctionnement d'une démocratie moderne complexe", a-t-il exposé sur Twitter.

"Deuxièmement, une grande partie du débat est présentée comme si tout ce qui importait était de faire passer cet accord. Mais ce n'est pas le cas. Nous aurons ensuite besoin de majorités stables pour les négociations très difficiles qui s’annoncent" sur la future relation avec l'UE, a-t-il souligné.

Pour Sara Hobolt, professeure de sciences politiques à la London School of Economics, les propos de Theresa May semblaient "sortis d'un manuel pour leader populiste". La dirigeante s'est présentée comme "représentant la volonté du peuple" contre des "institutions établies, dans ce cas le Parlement", a déclaré l'universitaire jeudi lors d'une conférence organisée par le think tank UK in a Changing Europe.

Profondément divisé, le Parlement n'a pas réussi à se mettre d'accord sur la stratégie à suivre, rejetant à la fois l'accord négocié par Theresa May et le scénario d'une sortie brutale de l'UE, sans accord et sans transition.

La Première ministre tente toutefois de persuader les députés de la suivre en faisant craindre aux europhiles une sortie sans accord, et aux eurosceptiques un long report du Brexit, voire pas de Brexit du tout.

Malgré son impopularité, certains de ses proches considèrent toujours qu'elle peut sortir victorieuse de ce bras de fer.

"Le choix qui se présente maintenant est soit de régler la question soit d'avoir une paralysie du Brexit", a souligné Jeremy Hunt, pour qui le pays a "une chance de passer à autre chose".

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