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Carola Rackete, "l'emmerdeuse" qui veut sauver les migrants

Héroïne pour les défenseurs des migrants, "emmerdeuse" pour le ministre italien Matteo Salvini, Carola Rackete, la jeune capitaine du Sea-Watch 3, a bravé la prison pour débarquer de force en Italie des migrants secourus en Méditerranée.

De longues dreadlocks retenues en queue de cheval, le regard décidé, elle est née il y a 31 ans à Kiel, au bord de la Baltique dans le nord de l'Allemagne, et navigue depuis huit ans, après des études en sciences nautiques et en protection de l'environnement.

Si le monde l'a découverte en débardeur sous le soleil méditerranéen, sa spécialité est en fait le froid et la recherche environnementale en Arctique et en Antarctique.

De son engagement pour la planète est né aussi un engagement social, qui l'a poussée à consacrer ses congés des brise-glaces à des missions bénévoles en Méditerranée avec l'ONG allemande Sea-Watch. Depuis 2016, elle a fait au total cinq missions d'au moins trois semaines à chaque fois.

Elle reste marquée par plusieurs drames: ce naufrage où les secouristes n'ont retrouvé que quelques survivants au milieu des cadavres, ce câlin à un petit garçon qui venait de perdre son père, les récits de tortures des migrants...

Pour elle, c'est une question de principe: "Peu importe comment tu arrives dans une situation de détresse. Les pompiers s'en moquent, les hôpitaux s'en moquent, le droit maritime s'en moque. Si tu as besoin d'être secouru, tout le monde a le devoir de te secourir".

Et en mer, "le secours se termine quand les gens se trouvent en lieu sûr", insiste-t-elle.

- Justice -

Ce "lieu sûr" a longtemps été l'Italie, mais le veto imposé par les populistes à leur arrivée au pouvoir à Rome en juin 2018 a donné à son engagement un tour politique qu'elle assume pleinement.

"Nous les Européens avons permis à nos gouvernements de construire un mur en mer. Il y a une société civile qui se bat contre cela et j'en fais partie", explique la jeune femme.

Alors que la règlementation italienne s'est encore durcie en juin, il n'était pas prévu que ce soit elle à la barre, mais elle a accepté de remplacer un collègue.

Le 26 juin, après deux semaines en mer avec plus de 40 migrants bloqués à bord, elle a bravé l'interdiction de pénétrer dans les eaux italiennes: "Je suis prête à aller en prison pour cela et à me défendre devant les tribunaux s'il le faut parce que ce que nous faisons est juste".

Le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini (extrême droite), a alors tonné contre "cette emmerdeuse de capitaine du Sea-Watch qui fait de la politique sur la peau des immigrés, payée par on ne sait qui".

Trois jours plus tard, elle a accosté de force dans le petit port de Lampedusa obligeant une vedette de la police à s'éloigner sous peine d'être écrasée.

- "Les menottes!" -

"Les menottes!", "Honte!", "J'espère que tu vas te faire violer par ces nègres", ont crié des habitants de l'île quand les policiers l'ont arrêtée, comme un résumé des remarques sexistes et souvent violentes qu'elle suscite sur les réseaux sociaux, tandis que M. Salvini s'emportait contre cette "criminelle". Elle a porté plainte pour diffamation.

"Ce n'était pas un acte de violence, seulement de désobéissance", a-t-elle assuré en présentant ses excuses aux policiers.

Trois jours plus tard, une juge italienne a invalidé son arrestation, estimant qu'elle avait seulement cherché à sauver des vies. Mais elle fait toujours l'objet de deux enquêtes, pour non-respect des ordres des policiers italiens et pour aide à l'immigration clandestine.

Mais le "tour personnel" qu'a pris l'affaire la met mal à l'aise: selon elle, il ne devrait être question que de l'échec de l'Union européenne et "non pas de personnes comme moi qui apparaissent sur le devant de la scène par hasard".

Sa jeunesse et sa détermination ont pourtant marqué les esprits: "Capitaine Carola" sera décorée par le Parlement catalan et la Ville de Paris, et deux cagnottes ouvertes pour couvrir ses frais de justice ont réuni plus de 1,4 million d'euros en quelques jours sur internet.

Un engouement qui déstabilise un peu son père, Ekkehart Rackete, qui a cependant déclaré à la presse allemande être finalement moins inquiet maintenant que quand son aventurière de fille traversait la Chine en auto-stop et campait sur la Grande Muraille.

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