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En Albanie, les rêves d'ailleurs d'une jeunesse en quête d'avenir

Dans un port britannique, quand il s'est extrait du camion où il était dissimulé sous des cartons de jouets, Alban a vu les policiers et compris que sa tentative d'émigrer se terminait là.

C'était il y a six ans et Alban Tufa, 27 ans, a été expulsé en avion au terme de deux semaines dans un camp de demandeurs d'asile. Mais l'échec n'a pas éteint ses envies d'exil, partagées par une armée de milliers de jeunes Albanais qui ne pensent qu'à fuir ce petit pays pauvre des Balkans.

"Dans les villages albanais, toutes les familles ont quelqu'un qui a émigré. Donc j'ai franchi le pas aussi", explique-t-il.

Selon un sondage Gallop de 2018, 60% des 2,8 millions d'habitants disent vouloir grossir une diaspora qui équivaut déjà à 40% de la population restée au pays.

Pourtant, l'Albanie n'est pas en guerre, n'est sous la botte d'aucun dictateur et n'a eu à subir aucun désastre naturel.

Faute de statistiques officielles à jour, il est difficile de mesurer l'ampleur exacte de l'exode. Mais la population du pays était de 3,3 millions à la fin de l'ère communiste, selon la Banque mondiale. Et l'âge moyen est désormais de 38 ans, soit dix de plus qu'à l'avènement de la démocratie, selon l'Institut national des statistiques.

La volonté d'émigrer est forte chez les jeunes, dont un sur trois est au chômage. Corruption et clientélisme endémiques sont d'autres moteurs.

- "Payer pour travailler" -

"Si vous n'avez pas d'ami puissant, vous ne trouverez pas de travail", dit Daniela Duli, étudiante en droit de 18 ans de Tirana qui compte partir en Italie son diplôme obtenu. Pour travailler au pays, il faut "donner beaucoup d'argent", dit-elle.

Cette angoisse de la jeunesse est pour beaucoup dans l'explosion de colère des étudiants descendus dans la rue en décembre pendant plusieurs semaines pour réclamer réformes et investissements dans l'éducation.

"La plupart de mes amis ont émigré", "ils ne se voient aucun avenir ici, ils ne voient pas de travail possible, se plaignent du niveau des études, qu'ils paient trop chers sans recevoir une formation adéquate", énumère Armando Xhaxho, 23 ans, qui a été parmi les derniers à abandonner en février le piquet de grève devant l'entrée de sa faculté à Tirana.

Le Premier ministre socialiste Edi Rama a promis des investissements ainsi que l'embauche dans l'administration de 1.000 jeunes diplômés, avec une préférence pour ceux qui ont étudié à l'étranger afin d'encourager les retours.

Mais il a réfuté toute notion de "crise" démographique. "Dans le monde entier, il y a des gens qui changent de pays et personne n'en parle", a-t-il récemment dit dans un entretien à une chaîne locale.

Professeur d'économie à Tirana, Adrian Civici ne partage pas cette sérénité. Selon lui, le fait que la plupart des jeunes veuillent émigrer, s'accompagne d'une "fuite des cerveaux".

Parmi les jeunes expatriés, entre "80 et 85% disent qu'ils n'envisagent pas de revenir en Albanie", dit-il. Ces gens sont "la génération la plus active" dans ce pays où le salaire moyen est de 400 euros.

- Mythe du départ -

Le mythe du départ est ancré dans la psyché des Albanais, soumis à un régime autarcique sous la dictature communiste (1944-1991). S'en aller, c'était alors prendre le risque d'être abattu à la frontière.

A l'avènement de la démocratie, "quand les portes se sont ouvertes, les Albanais ont regardé l'Occident comme une chance pour un avenir meilleur pour leurs enfants", explique la sociologue Drita Teta.

Aujourd'hui encore, "pour de nombreux Albanais, l'Ouest c'est la grande illusion, un paradis qui résoudra toutes les difficultés économiques et sociales de leurs familles", poursuit-elle.

Désormais citoyens d'un "pays sûr" selon l'Europe, les Albanais restent en haut de liste pour les demandes d'asile. Entre mi-2017 et 2018, ils ont déposé 17.510 dossiers, tandis que des milliers ont formulé des requêtes auprès des autorités américaines et canadiennes.

Quelque 90% des demandes sont rejetées. Mais beaucoup comptent profiter du délai de procédure pour s'installer dans le pays de leur choix.

Deux ans après sa première tentative, Alban Tufa a rencontré un nouvel échec en Allemagne. Désormais étudiant en journalisme, il compte toujours partir même si cette fois "ce sera par la voie légale", dit-il.

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