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En Bulgarie, les vies fauchées des jeunes Allemands de l'Est candidats à l'exil

Dans les collines de Brachten, aux confins de la Bulgarie, presque rien ne vient rappeler qu'a couru ici pendant des décennies le Rideau de fer. Ni que de nombreux Allemands de l'Est ont perdu la vie en tentant de passer en Grèce en traversant cette frontière réputée à tort perméable.

Chehim Solakov, un habitant âgé de 82 ans, se souvient pourtant très bien de ce jour de 1980 où deux jeunes Allemands de l'Est cherchant à fuir le bloc communiste avaient été abattus en tentant de déjouer la vigilance des garde-frontières pour atteindre la Grèce, à juste un kilomètre de là.

"Ils les ont chargés sur une mule comme du bois pour le feu", évoque cet ancien agriculteur, précisant que les corps avaient ensuite été transportés vers un lieu inconnu.

Destination touristique relativement aisée d'accès pour les autres citoyens du Bloc de l'Est, la Bulgarie passait aussi pour offrir aux candidats à l'exil une frontière moins hermétique que celle séparant les deux Allemagne.

Si au moins 695 tentatives ont été couronnées de succès, plus de 1.500 à l'inverse se sont soldées par des arrestations voire par la mort, selon les historiens.

- Abattu à 19 ans -

Car les garde-frontières de ce fidèle vassal de l'Union soviétique veillaient au grain, encouragés par des récompenses pour chaque traversée empêchée. Et avec l'assurance que la plus grande discrétion serait observée.

"Aujourd'hui encore, il est très difficile de savoir combien il y a eu de cas. Il n'y a pas de données agrégées dans les archives", déplore l'historien bulgare Stoïan Raïchevsky, co-auteur d'une récente étude sur le sujet.

Au moment où l'Europe s'apprête à célébrer le 30e anniversaire de la chute du Rideau de fer et du Mur de Berlin, la question des fugitifs allemands abattus à la frontière bulgaro-grecque reste en effet largement taboue en Bulgarie.

"Jusqu'à ce jour, on n'en a pas parlé, c'est le silence", relève M. Raïchevsky. "Ces gens ne sont même pas reconnus comme des victimes par notre législation".

Au total, 21 cas d'homicides d'Allemand de l'Est ont été répertoriés à ce jour, principalement grâce aux archives de la Stasi, la redoutable police politique de l'ancienne République démocratique d'Allemagne. Un chiffre qui potentiellement ne représente qu'une partie de la réalité, selon les spécialistes.

Dernière victime connue des garde-frontières bulgares, Michael Weber, 19 ans, avait été abattu en juillet 1989. A cette époque la Hongrie avait commencé à démanteler le Rideau de fer, une initiative qui sera célébrée lundi à Sopron, à la frontière de l'Autriche.

- Dénonciation -

Frank Meier avait le même âge que Michael Weber quand il avait tenté d'atteindre la Grèce en 1983. Mais le jeune homme originaire de la région berlinoise a eu la "chance" de n'être "que arrêté", témoigne-t-il dans un entretien téléphonique à l'AFP depuis l'Allemagne.

Arrivé jusqu'à Dospat dans le cadre de "vacances", il avait parcouru à pied les 11 km le séparant de Brachten et de la frontière. Il avait toutefois été interpellé alors qu'il approchait de la zone interdite, dénoncé par eux jeunes habitants.

Transféré en Allemagne de Est et emprisonné durant près d'un an, ce futur géomètre avait finalement bénéficié d'une "expulsion" vers la République fédérale grâce à la mobilisation de proches à l'Ouest.

Même s'il reconnaît que son arrestation lui a valu des cauchemars durant de longues années, Frank Meier assure ne pas en vouloir à ceux qui l'avaient arrêté. "Je n'ai pas de grief envers la Bulgarie et les gens de l'époque. Ils étaient endoctrinés".

Sous-officier des garde-frontières communistes de 1973 à 1989, Metody Slichkkov, 75 ans, assure pour sa part n'avoir aucun regret d'avoir intercepté onze fugitifs au cours de sa carrière, un fait d'armes qui lui a valu d'être décoré à deux reprises comme "Héros de l'armée aux frontières".

"Nous avions fait serment de défendre l'Etat", explique-t-il à l'AFP, assis à son bureau pavoisé du drapeau européen au siège de l’association des Anciens combattants de Kyoustendil, près de la frontière serbe.

Stoïan Raïchevsky, le chercheur, indique de son côté militer avec d'autres historiens pour un changement de la loi bulgare dans ce dossier. Pour qu'"au moins, les victimes ne soient plus considérées comme de bandits et des criminels".

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