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En Espagne, les salariés "jetables" au centre du débat électoral

"On t'embauche, on te jette, on t'embauche et on te jette encore". Madrilène de 26 ans, Elena Martin résume l'ampleur exceptionnelle du travail précaire en Espagne, au coeur du débat électoral avant les législatives du 26 juin.

Après sept années de crise économique, l'Espagne a retrouvé la croissance en 2014 et son chômage a baissé à 20,1%.

Mais ce taux reste le deuxième plus élevé de l'Union européenne derrière la Grèce. Et quand le conservateur Mariano Rajoy fait de la création de 500.000 emplois par an le principal argument en faveur de sa réélection comme chef du gouvernement, ses adversaires - de gauche comme de droite - répondent "précarité généralisée", "contrats poubelles", "travailleurs pauvres"...

Conseiller spécial du directeur général de l'Organisation internationale du travail (OIT), l'économiste Raymond Torres vante "une reprise vigoureuse" mais constate que "l'Espagne crée encore très majoritairement des emplois instables, temporaires, à temps partiel non voulu et intérimaires".

Selon le service public de l'emploi, 90% des contrats signés chaque mois depuis le début de l'année, sont temporaires. Et même le ministre sortant de l'Economie, Luis de Guindos, évoque désormais "le fléau" des contrats temporaires.

"C'est un peu logique au début d'une reprise parce que les entreprises ne savent pas trop ce qui les attend", dit M. Torres, "mais il y a en Espagne un problème structurel: celui de l'instabilité des emplois".

L'économie espagnole "repose, de plus en plus, sur des secteurs à faible valeur ajoutée, avec un poids énorme du tourisme et d'autres types de services de faible niveau technologique, commerce, télémarketing, etc", explique le professeur d'économie à l'Université autonome de Madrid, Marcel Jansen.

Mais surtout, les entrepreneurs espagnols ont pris l'habitude de considérer que "leurs travailleurs peuvent être utilisés et jetés comme des kleenex", assène cet économiste pourtant libéral, en constatant que "la rotation est démesurée". "Il y a beaucoup de contrats d'une seule semaine et dernièrement on parle d'un boom des contrats d'un jour!"

La durée moyenne des contrats est passée de 79 jours en 2006 à 53,4 en 2015.

Avec son "niveau bac", Elena Martin - chômeuse avenante et volontaire rencontrée à la sortie d'un "bureau de l'emploi" du quartier Acacias à Madrid - fait partie des nombreux jeunes Espagnols affichant sur leur CV "une "disponibilité totale" pour compenser l'insuffisance de leurs qualifications. Elle n'aura occupé depuis 2008 que de rares emplois éphémères: standardiste, responsable "complètement exploitée" d'une boutique de vêtements, serveuse, caissière.

- CDI avec période d'essai d'un an -

Mais la précarité de l'emploi ne touche pas seulement commerce, hôtellerie, métiers de la propreté ou télémarketing. Elle concerne jusqu'à "la santé publique avec des médecins et infirmières recrutés pour un week-end, un remplacement", déplore Manuel Lago, économiste de Commissions ouvrières (CCOO), premier syndicat du pays.

Au cours des dix dernières années, "161 millions de contrats de travail ont été signés dans un pays dont la force de travail compte 14,5 millions de personnes en moyenne", dit-il. "Cela signifie que les gens n'arrêtent pas d'entrer et de sortir des entreprises et de changer de poste, d'activité, de secteur, à un rythme frénétique".

"Si en Allemagne, les mini-jobs sont faits pour un segment seulement de salariés, en Espagne, c'est le noyau dur de la force de travail qui endure précarité et bas salaires", insiste M. Lago.

La très controversée réforme du travail de 2012 a notamment créé, pour les entreprises de moins de 50 salariés, un contrat à durée indéterminée avec "période d'essai d'un an", au terme de laquelle l'employeur peut licencier sans explication ni indemnisation.

Le revenu est aussi au coeur du débat. "Il y a eu une nette augmentation des travailleurs pauvres gagnant moins de 690 euros" par mois, souligne M. Torres.

Agence spécialisée de l'ONU, l'OIT a estimé en janvier qu'une hausse de 10% sur trois ans du salaire minimum en Espagne (à 757 euros mensuels sur douze mois en 2015) ne mettrait pas en péril la compétitivité ni la création d'emploi.

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