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En Hongrie, des guérilléros de l'info "faite à la maison"

Lorsqu'il était étudiant et luttait contre la censure du régime communiste hongrois, Janos Laszlo n'imaginait pas qu'il reprendrait du service, quarante ans plus tard, pour aider à diffuser une presse indépendante, asphyxiée depuis l'arrivée au pouvoir de Viktor Orban.

Une à deux fois par semaine, cet ancien journaliste quitte Budapest à destination de la province hongroise, un paquet d'imprimés sous le bras pour livrer une information introuvable dans les journaux locaux.

Après deux mandats du dirigeant conservateur, revenu aux commandes de la Hongrie en 2010, "il n'y a plus beaucoup de médias indépendants", assure Janos Laszlo.

Lorsque le parti de Viktor Orban, donné en tête des sondages pour les législatives de dimanche, a lancé sa campagne électorale où il dénonce "l'invasion migratoire" ainsi qu'un supposé complot contre la Hongrie de "Bruxelles", du milliardaire américano-hongrois Georges Soros et de l'ONU, le sexagénaire a décidé de réagir.

L'initiative qu'il a lancée l'été dernier avec un groupe d'amis s'appelle "Imprime-le toi-même" (Nyomtass Te Is): chaque semaine ils sélectionnent plusieurs articles dans la presse alternative, peu lue en province, les mettent en page sur une feuille format A4 pliée en deux, tirent des centaines de copies noir et blanc à domicile ou chez des imprimeurs coopératifs, puis partent à la rencontre d'un public "isolé", loin de la capitale.

Le sommaire change à chaque numéro et va des soupçons de corruption dans les cercles du pouvoir aux manifestations anti-Orban à Budapest en passant par l'état du système de santé et de l'éducation.

- "Rééquilibrer les contre-vérités" -

"C'est un devoir moral de rééquilibrer les contre-vérités qu'on trouve dans les autres médias", explique Emese Nagy, 48 ans, tout en pliant des piles d'imprimés dans le train qui mène la petite équipe à Szekesfehervar, une ville de 100.000 habitants à 60 kilomètres de Budapest.

Une fois sur place, les brochures sont distribuées aux passants, déposées dans des lieux publics ou dans les boîtes aux lettres.

Janos Laszlo n'est pas loin d'éprouver le même sentiment de transgression qu'à l'époque, les années 1980, où il participait à la diffusion des "samizdats", ces écrits de dissidents qui circulaient sous le manteau dans les pays du bloc communiste. "Imprime-le toi-même" revendique cette filiation.

Les accusations d'atteinte au pluralisme de l'information font bondir les représentants du gouvernement hongrois: "Vraiment, quelle personne raisonnable observant le paysage médiatique hongrois mettrait sérieusement en doute la liberté de la presse !", s'indignait récemment le porte-parole du gouvernement sur son blog, invoquant l'abondance de titres sur le marché.

Sauf qu'un nombre croissant de ces titres s'est retrouvé au fil des ans entre les mains de proches du pouvoir, soulignent les spécialistes du secteur.

- L'emprise du Fidesz -

Réformée dès 2011, débarrassée des journalistes les plus critiques, la radiotélévision publique a été la première cible de la refonte des médias.

Les autorités ont ensuite mené la vie dure aux médias privés, en les excluant notamment de l'attribution des contrats publicitaires d'État, selon le constat de l'institut indépendant de surveillance des médias Mertek.

Le plus ancien et principal journal d'opposition, Nepszabadsag, a été brutalement fermé par son propriétaire en octobre 2016, officiellement pour raisons économiques, puis vendu à une entreprise en lien étroit avec le Fidesz, le parti de la majorité.

Cette valse des propriétaire a atteint son apogée en 2016/2017, lorsque 18 titres de presse régionale sont passés en l'espace de quelques mois dans l'escarcelle de trois hommes d'affaires à la proximité assumée avec Viktor Orban.

"En moins d'un an, le Fidesz a étendu son emprise sur l'ensemble de la presse régionale", s'était alors inquiétée l'ONG Reporters sans frontières qui a classé la Hongrie 71e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2017 - elle était 23e à l'arrivée du Fidesz au pouvoir.

Le raid commercial sur la presse régionale a été la "goutte d'eau qui a fait déborder le vase", confie Janos Laszlo.

La demande pour sa newsletter artisanale n'a cessé de croître, assure-t-il: "On vient d'en envoyer 10.000 copies à Szeged", une grande ville du sud du pays.

Dans les rues de Szekesfehervar, la plupart des passants s'emparent de l'imprimé, a constaté l'AFP, à l'exception d'un homme qui grimace et le transforme en confettis.

Un accueil qui met un peu de baume au coeur d'Erno Klecska, ancien rédacteur en chef du journal local Fejer Megyei Hirlap, licencié par le nouveau propriétaire: "C'est comme si les pouvoirs en place voulaient fermer chaque source de critique potentielle".

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