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En Islande, des familles luttent toujours contre un prêt hypothécaire délirant: "L'emprunt a plus que doublé, il dépasse la valeur de la maison"

Dix ans après la crise financière, des familles islandaises continuent de se saigner aux quatre veines pour sauver leur logement, acheté à crédit via des prêts en tout point toxiques.

Sous la menace d'une expulsion depuis 2012, Ásthildur Thórsdóttir et Hafthór Ólafsson ont sacrifié un temps incalculable et beaucoup d'argent pour garder leur maison.

"Je ne sais pas si j'aurais commencé ce combat si j'avais su tout ce que cela nous coûterait", lâche, désabusée, Ásthildur, professeure de grammaire de 51 ans.

Soucieux de l'épanouissement de leurs deux enfants alors en primaire, le couple voulait plus d'espace que leur appartement de deux chambres en périphérie de Reykjavík.

Les prix sur le marché de l'immobilier grimpant en flèche, ils franchissent le pas mi-2007 et acquièrent une belle maison de 165 m2 pour 55,4 millions de couronnes (environ 660.000 euros) dans un paisible quartier résidentiel de la capitale.

Ils s'endettent pour 40 ans. Leur prêt de 30,4 millions de couronnes est indexé sur le franc suisse et le yen, historiquement stables.

"Ce genre de crédit était recommandé par tout le monde: les banques, les agents immobiliers...", explique Hafthór, 54 ans, vendeur d'équipements audio et vidéo.

"Nous avions examiné le taux de change sur les 15 années précédentes et nous avions estimé que nous pouvions facilement gérer jusqu'à 30% de fluctuations", renchérit Ásthildur.

Un an plus tard, en octobre 2008, les banques islandaises sont en cessation de paiement, entraînant le pays tout entier dans leur chute.

L'emprunt a plus que doublé et est monté jusqu'à 74 millions de couronnes, dépassant même la valeur de la maison

Prêts illégaux

Selon une enquête de 2011 de l'Association islandaise des services financiers (SFF), 70.000 Islandais (sur une population de 318.000) ont souscrit des prêts aux taux alléchants pour s'offrir un 4x4, changer de maison ou partir en vacances.

Mais en quelques mois, la couronne islandaise s'effondre de plus de 50%, faisant décoller l'inflation jusqu'à 18%. Les ménages, dont les crédits sont indexés soit sur l'évolution des prix soit sur les devises étrangères, voient leurs mensualités exploser.

"L'emprunt a plus que doublé et est monté jusqu'à 74 millions de couronnes, dépassant même la valeur de la maison", se souvient Hafthór.

En juin 2010, la Cour suprême statue que les prêts indexés sur des devises étrangères étaient illégaux et que les familles ne sont plus tenues de rembourser la part liée aux pertes de change.

S'engage alors une bataille judiciaire pour les familles assignées par les banques.

Une solution est trouvée pour une vaste majorité de propriétaires ayant souscrit à ces emprunts.

"La plupart des prêts ont été réévalués à la baisse, permettant ainsi que ce poids énorme soit retiré aux foyers islandais", indique Katrín Júlíusdottir, directrice générale de la SFF.

Le coût pour les banques est d'environ 200 milliards de couronnes, soit à cette époque environ 10 à 15% du PIB, et d'un peu plus 100 milliards de couronnes pour le gouvernement.

L'endettement des ménages, supérieur à 120% du PIB en 2009, tombe à moins de 80% en 2017, selon un rapport du gouvernement publié en début d'année.


Dix années de sacrifices

Mais près de 6.000 Islandais ont perdu leur maison après adjudication entre 2008 et 2015, selon des chiffres rendus publics par le Parlement. Sans compter ceux qui ont dû s'en séparer pour payer leur dette et qu'aucune statistique officielle ne peut répertorier.

Pour Ásthildur et Hafthór, la procédure d'expulsion de leur maison lancée en 2012 en raison des impayés est toujours en cours.

"Nous paierons ce que nous devons lorsque ce sera légalement calculé", assure Hafthór.

En attendant, la situation est précaire.

"Un cinquième de notre vie s'est évaporé sans progrès dans notre quotidien ni projet pour l'avenir... Le plus gros sacrifice, ce sont ces choses que nous n'avons pas pu faire avec nos enfants", se lamente Ásthildur.

Avant la crise, la famille avait l'habitude de partir en vacances à l'étranger une fois tous les deux ans.

"Mais il y a tellement d'autres histoires plus horribles", modère Hafthór. "Nous sommes toujours une famille: mariés -depuis 26 ans-, en relativement bonne santé, nous avons toujours nos enfants...".

Reste une rancoeur tenace: "Évidemment, nous nous battons contre la banque. Mais aussi contre le gouvernement de l'époque qui a rendu cela possible en adoptant des lois permettant aux banques d'agir ainsi".

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