Accueil Actu

En Russie, de nouveaux partis accusés de faire le jeu du Kremlin

Adieu les jeux vidéo! Viatcheslav Makarov, cofondateur du célèbre "World of Tanks", se lance en politique. Mais certains en Russie soupçonnent la création du parti de ce "geek" d'être une ruse visant à protéger la majorité au pouvoir.

L'hypothèse est née dès l'annonce, début janvier, de la création du parti "Démocratie directe", qui organisait jeudi un premier congrès en marge d'une conférence sur les technologies numériques à Moscou.

Invitée surprise: Maria Boutina, une jeune Russe emprisonnée 18 mois aux Etats-Unis pour avoir tenté d'infiltrer les milieux politiques.

"Chaque Russe doit connaître l'art du hacking pour se protéger des menaces étrangères", a affirmé celle qui a désormais une émission sur la chaîne pro-Kremlin RT. "Et Dieu soit loué, ce parti compte des spécialistes des technologies informatiques".

Pour s'y consacrer, Viatcheslav Makarov, 40 ans, a quitté l'entreprise Wargaming, fondée au Bélarus et à l'origine du populaire jeu de guerre "World of Tanks".

"Le Kremlin est une barrière que nous essayons d'éviter mais pas de faire tomber", a-t-il dit à l'AFP. Reconnaissant des contacts au sein de la présidence, il s'est défendu d'être "un projet du pouvoir" et affirme financer le parti avec sa propre fortune.

Ces derniers mois, plusieurs partis ciblant chacun un public précis ont été lancés en Russie, avec dans le viseur les élections régionales de septembre, puis les législatives de 2021.

L'un des plus remarqués, "Pour la Vérité", est dirigé par l'écrivain nationaliste Zakhar Prilépine, qui a combattu parmi les séparatistes pro-russes de l'est de l'Ukraine. Lui aussi nie avoir créé sa formation à la demande des autorités mais compte parmi ses sympathisants l'acteur américain Steven Seagal, grand fan de Vladimir Poutine.

Ont aussi vu le jour depuis le début de l'année le parti écologiste "Alternative verte", "Une vie digne" tourné vers la jeunesse, ou le parti pro-business "Nouvelles personnes". Au total, 39 partis ont été créés en 2019, selon les autorités, dont 17 lors du dernier trimestre.

- "Illusion de concurrence" -

Le principal opposant au Kremlin, Alexeï Navalny, n'a pas cette chance: son équipe tente en vain depuis sept ans d'enregistrer son parti alors que son Fonds de lutte contre la corruption (FBK) est actuellement visé par une enquête pour "blanchiment".

De l'avis des experts, il est peu probable que l'absence de Navalny soit compensée par un de ces nouveaux partis.

"Leur but est de donner l'illusion d'une concurrence politique, d'attirer de nouveaux électeurs et de neutraliser une opposition plus dangereuse", explique à l'AFP la politologue russe Ekaterina Schulmann.

Leurs chances d'atteindre les 5% nécessaires pour entrer au Parlement sont quasi nulles, mais leurs voix, tout en dopant la participation, n'iront pas à d'autres formations pouvant capitaliser sur le mécontentement des Russes, comme le Parti communiste ou celui du nationaliste Vladimir Jirinovski.

"L'objectif est vraiment de minimiser les risques de baisse de popularité du parti au pouvoir Russie Unie", souligne l'experte Tatiana Stanovaïa, du centre de réflexion R. Politik.

Le parti présidentiel connaît une sérieuse désaffection sur fond de stagnation économique. Il plafonne à 32,7% des intentions de vote, loin des 54% obtenus aux législatives de 2016, selon l'institut public de sondages Vtsiom.

- Chanteur de rock -

Outre ces nouveaux partis, une entrée en politique a été très commentée: celle de Sergueï Chnourov, leader du groupe de rock Leningrad, immensément populaire en Russie.

"Avec moi ce sera clairement plus joyeux", a-t-il lancé après avoir rejoint le "Parti de la croissance", dirigé par le représentant du Kremlin auprès des entrepreneurs, Boris Titov.

Jusque-là poil à gratter des autorités, volontiers moqueur, le chanteur a pris soin de supprimer sur les réseaux sociaux plusieurs messages critiquant la politique des autorités.

Pour Tatiana Stonovaïa, ce ralliement s'inscrit dans un contexte de "dépolitisation" : "On voit cela en Europe, la crise des partis traditionnels, l'idée de miser sur des gens sans lien avec la politique".

"Ce n'est pas une tentative de parler de l'avenir du pays, mais plutôt une volonté d'éviter les vrais problèmes", ajoute la politologue.

Même en l'absence de programmes sérieux, reste une possibilité, ajoute Ekaterina Schulmann: celle que ces partis réalisent une percée électorale et perturbent le très rodé jeu politique russe.

"Comme la confiance envers les partis existants baisse, des entités politiques pensées comme des +parasites+ peuvent avoir plus de succès qu'attendu", dit-elle.

À lire aussi

Sélectionné pour vous