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Eric Vuillard, la littérature conjuguée au passé décomposé

Expert du récit historique décalé, Éric Vuillard, prix Goncourt 2017, a mis ces derniers mois sa verve au service du militant altermondialiste Vincenzo Vecchi, sous la menace d'une longue peine de prison en Italie. Un combat pas étranger à son œuvre littéraire.

L'écrivain de 51 ans était vendredi à la cour d'appel de Rennes, qui a décidé la remise en liberté de ce peintre en bâtiment réfugié en Bretagne, condamné pour "dévastation et pillage, vol et port d'armes" lors du sommet du G8 à Gênes en 2001.

"C'est une décision courageuse" qui "s'inscrit dans un climat très général de répression des libertés publiques, du droit de manifester", a réagi l'écrivain. "C'est une victoire qui s'inscrit dans un paysage plutôt sinistre de ce point de vue en Europe."

Les manifestations, Éric Vuillard les a connues très tôt, lui qui a raconté la prise de la Bastille du point de vue des émeutiers dans "14 juillet" (Actes Sud, 2016). Né le 4 mai 1968 à Lyon, il passe ses premiers jours au-dessus des barricades que surplombe l'appartement familial, tandis que son père, futur chirurgien, défile aux côtés de ses camarades étudiants.

Scolarisé en internat, il abandonne le lycée à 16 ans, peu de temps après le départ de ses parents pour la Drôme, pour reconstruire un village en ruine "à 1.000 mètres d'altitude dans un cul de sac". "Je partais des mois entiers, on ne me voyait plus", raconte celui qui n'a "pas beaucoup aimé l'école".

A l'Université, c'est l'inverse. Il enchaîne jusqu'à 27 ans les diplômes de droit, de philosophie ou d'anthropologie, avec notamment un DEA dirigé par le philosophe Jacques Derrida.

De ces années, il retient que le droit "est un système de contrainte, un appareil idéologique", une sorte de "latin moderne", même s'il existe une "tradition juridique liée à la protection des libertés".

Mais "les études, c'était une sorte d'alibi", lâche-t-il. "J'ai toujours écrit, depuis très longtemps... J'ai toujours pensé que c'était à ça que ma vie était attachée, ça ne faisait pas de doute".

- "Pas d'histoire neutre" -

Son premier roman "Le chasseur" paraît en 1999 chez Michalon. Ce n'est que dix ans plus tard qu'il s'attaque à l'Histoire avec "Conquistadors" (Léo Scheer, 2009) sur la destruction de l'Empire inca. Insistant sur des détails passés inaperçus, il forme une sorte de contre-histoire vue des vaincus, à travers les spectacles de Buffalo Bill ("Tristesse de la Terre", Actes Sud, 2014), la colonisation de l'Afrique ("Congo", 2012) ou les révoltes paysannes du XVIe siècle ("La Guerre des pauvres", 2019).

Installé dans un appartement modeste du centre-ville de Rennes, avec sa femme psychologue et ses deux enfants, le discret écrivain affiche toujours un ton doux et aimable qui contraste avec le style incisif de ses livres.

"Un écrivain, c'est un son. Le son Vuillard se reconnaît tout de suite", décrit l'écrivain Pierre Assouline, juré de l'académie Goncourt, qui l'a récompensé pour "L'Ordre du jour" (Actes Sud, 2017). "Il a une vision politique du monde et cette vision transparaît dans son œuvre littéraire".

Une vision qui lui vaut une invitation sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018, mais aussi un vif échange avec l'historien américain Robert Paxton, lors de la sortie de "L'Ordre du jour" aux États-Unis. Ce spécialiste de Vichy lui reproche à demi-mot une lecture partisane de la montée du nazisme, tout en reconnaissant un récit "généralement exact".

"On reproche toujours à l'autre d'avoir une lecture partisane quand on n'a pas les mêmes opinions politiques", rétorque Vuillard, pour lequel "il n'y a pas d'histoire neutre".

"On dit souvent que l'histoire éclaire le présent mais c'est l'inverse. On regarde toujours l'histoire depuis une conjoncture particulière, et c'est ce qui la rend vivante", dit-il.

Ainsi, la montée actuelle de l'autorité et le recul des libertés devrait nous éclairer sur l'état d'esprit qui prévalait dans les années 1930, juge-t-il dans une tribune de soutien à Vecchi. Mais "alors que désormais nous devrions comprendre comment les choses dérapent, eh bien, nous ne les voyons plus".

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