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Espagne: premier procès pour un responsable présumé des "bébés volés"

Un médecin octogénaire va être le premier en Espagne à s'asseoir sur le banc des accusés mardi à Madrid pour une affaire de "bébés volés", un trafic qui aurait touché des milliers de familles sous la dictature de Franco.

Les enfants étaient déclarés mort-nés puis confiés à des familles d'adoption à l'insu de leurs parents.

Eduardo Vela, 85 ans, obstétricien à la clinique San Ramon de Madrid, a "offert" une enfant à Inés Pérez en juin 1969 et l'a inscrite comme sa fille biologique sur l'acte de naissance, selon l'ordonnance de renvoi devant un tribunal consultée par l'AFP.

C'est cette fille, Inés Madrigal, aujourd'hui âgée de 49 ans, qui est parvenue à le traîner en justice, après des années de procédure.

Elle a raconté à l'AFP avoir appris à 18 ans, lors d'une conversation avec sa mère, qu'elle était adoptée.

Puis, en 2010, en lisant dans la presse un article sur l'histoire des "bébés volés" elle a découvert que sa clinique natale, fermée en 1982, était un des centres du trafic de nouveaux nés dans les années 1960 et 1970.

Ce trafic, né après la guerre civile sous le franquisme, pourrait avoir touché des dizaines voire des centaines de milliers d'enfants, selon les associations militant pour que la lumière soit faite.

"J'ai pensé... mon Dieu, ne me dites pas que c'est mon cas", se rappelle cette cheminote aujourd'hui installée à Murcie (sud-est).

Mais elle a finalement découvert que son acte de naissance, portant la signature du docteur Vela, était bel et bien falsifié. "Ca a été une gifle", dit-elle.

- Procès historique -

Eduardo Vela est le premier suspect de vol de bébés en Espagne à s'asseoir sur le banc des accusés. Il est poursuivi notamment pour "simulation d'enfant", "adoption illégale" et "faux en écriture". Son avocat, Rafael Casas, n'a pas souhaité faire de déclarations.

Selon la mère adoptive d'Inés Madrigal -décédée depuis- le docteur Vela lui avait demandé de simuler une grossesse et, après la naissance, de ne consulter que lui si sa fille tombait malade, afin que personne d'autre ne se penche sur son dossier.

Selon les associations, au moins 2.000 plaintes pour des faits similaires ont été déposées. Aucune n'a abouti.

Les affaires sont classées, les tribunaux estimant les preuves insuffisantes, ou que les faits sont prescrits, explique Soledad Luque, présidente de l'association "Tous les enfants volés sont aussi mes enfants".

Cette professeure de phonétique cherche elle-même son frère jumeau, disparu en 1969 dans une maternité de Madrid dans des circonstances troubles. Comme dans beaucoup de cas, les médecins ont assuré à ses parents qu'il était mort, sans en fournir la moindre preuve, raconte-t-elle.

- "Gène rouge" -

Ces enlèvements de nouveaux-nés auraient débuté avec la dictature de Francisco Franco (1939-1975). L'objectif était d'abord de punir les partisanes de la République écrasée par le général, accusées de transmettre le "gène rouge" du marxisme, raconte Soledad Luque.

Puis ce sont les enfants nés hors mariage, ou dans les familles pauvres ou très nombreuses, qui ont été visés dans les années 1950. Ils étaient adoptés clandestinement par des couples stériles ou proches du régime "national-catholique".

Et le trafic a perduré bien après sa mort, explique Soledad Luque, avec cette fois "un mobile presque purement économique", au moins jusqu'en 1987, quand une nouvelle loi réglementant l'adoption a mentionné dans son préambule "l'odieux trafic d'enfants dénoncé dans les médias".

"C'est un procès qui, si (le docteur Vela) comparaît, déclare vraiment, et raconte tout ce qu'il doit raconter, peut ouvrir la porte à d'autres affaires, à d'autres procès", assure-t-elle.

C'est ce qui a poussé Inés Madrigal à aller de l'avant pour "que ça ne me serve pas qu'à moi, mais aussi à tant d'autres personnes qui viennent derrière".

"Ce serait ma plus grande réussite", dit-elle, résignée à ne jamais savoir qui était sa mère biologique. "Moi, Eduardo Vela (...) ne me racontera jamais dans quelles circonstances il m'a enlevé des bras de ma mère".

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