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Incarcérés pour avoir manifesté, les destins brisés d'étudiants russes

Difficile pour les camarades d'université d'Egor Joukov de retenir leurs larmes lorsqu'il prononce quelques mots par vidéotransmission depuis la prison russe où il est incarcéré : "Je ne sais pas si je serai libre, mais la Russie le sera forcément".

Sur les quelque 3.000 personnes interpellées cet été à Moscou lors de manifestations non autorisées pour des élections justes, une dizaines de jeunes Russes, dont cet étudiant de 21 ans, restent en détention préventive.

Ils sont poursuivis pour avoir participé à ce que la justice qualifie de "troubles massifs" ou pour "violences à l'encontre des forces de l'ordre", accusations graves qui font planer le risque de condamnations à plusieurs années en prison.

Egor Joukov, qui devait commencer à la rentrée un cursus de quatre ans à la prestigieuse Haute école d'économie (HSE), est le plus connu d'entre eux grâce à ses populaires vidéos sur YouTube dans lesquelles il critique les autorités russes.

Depuis son incarcération, plus de 300 étudiants et professeurs de l'école lui ont apporté dans une lettre ouverte leur soutien avant son récent appel en justice.

"Beaucoup d'étudiants estiment qu'ils auraient facilement pu se retrouver à sa place", souligne l'un des doctorants de l'école, Armen Aramian, dénonçant des "actions illégales de la machine répressive" de la justice.

Lorsqu'un juge a refusé de remettre en liberté Egor, certains de ses camarades présents à l'audience ont fondu en larmes. "Il y a de quoi craindre pour notre futur", a expliqué Boris Karpychtchev, en première année de droit.

- "Populaire et indépendant" -

L'article de loi sur les "troubles massifs" lors des manifestations s'applique en théorie à des émeutiers brûlant des voitures ou des personnes armées et agressives. Rien de tel n'a eu lieu lors de la manifestation de l'opposition pour laquelle Egor a été arrêté fin juillet, ni à aucune autre des actions de protestation à Moscou.

Ce mouvement, le plus importante depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012, a été déclenché par le refus des autorités d'enregistrer des candidatures indépendantes aux élections locales du 8 septembre pour des motifs souvent douteux.

La télévision publique russe a été prompte à présenter Egor Joukov comme un "coordinateur" qui aurait "dirigé habilement" la foule.

Déjà étudiant "populaire et indépendant" avant son arrestation, il a désormais gagné une stature de "héros" auprès de nombreux camarades, affirme Kirill Martynov, professeur de philosophie à la HSE.

La rentrée dans cette école fondée en 1992 et réputée comme l'une des plus progressistes de Russie, risque de donner lieu à une "confrontation assez violente de points de vue", ajoute M. Martynov, selon qui un groupe de professeur a intimé l'établissement à rester "en dehors de la politique".

- Rappeurs à la rescousse -

Parmi les co-accusés d'Egor figurent Daniil Konon, un étudiant ingénieur au prestigieux institut Bauman de Moscou, ancien cadet de l'armée ayant participé à des parades sur la place Rouge.

Bien qu'il n'ait pas de convictions politiques particulièrement marquées selon son avocat, la télévision publique l'a lui aussi présenté en train de "coordonner" les manifestants en donnant des instructions par gestes.

"Il ne fait pas partie de l'opposition. Il n'a jamais été dans la politique", a affirmé à l'AFP sa mère Natalia, qui dirige un refuge pour chiens.

Un des étudiants de son institut, Daniil Khriachtchev, le qualifie de "patriote": "Il n'est même pas opposé aux autorités actuelles".

Un autre accusé est Aïdar Goubaïdouline, récemment diplômé de l'Institut de physique et de technique de Moscou, d'où sortent des programmeurs parmi les plus talentueux de Russie.

Ces détentions ont poussé les recteurs de plusieurs universités à appeler leurs étudiants à s'abstenir de prendre part aux manifestations non autorisées sous peine d'exclusion. Des rappeurs et musiciens russes célèbres ont pour leur part apporté leur soutien au mouvement de contestation.

"Egor Joukov est clairement un gars discipliné et idéaliste. Il n'a enfreint aucune loi", a déclaré à l'AFP le rappeur Oxxxymiron, qui a proposé sans succès à la justice de libérer l'étudiant sous caution. "On l'accuse d'être l'organisateur d'une émeute, mais il n'y a même pas eu d'émeute. C'est absurde".

Ne s'étant jusqu'à récemment jamais exprimé sur ses convictions politiques, le populaire rappeur explique: "Tout le monde a son point d'ébullition".

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