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Italie: dans la banlieue de Naples, la colère du Sud a porté les antisystème

A Bagnoli, une banlieue décrépite de Naples, balafrée par une vaste friche industrielle, les habitants désabusés se sont tournés en masse, comme dans tout le Sud de l'Italie, vers les antisystème du Mouvement 5 étoiles (M5S).

Le jeune parti a recueilli 57% à Bagnoli, non loin de Pomigliano d'Arco, le fief où le chef de file du mouvement, Luigi Di Maio, a été élu avec plus de 65% des voix.

"Cela a été un vote de protestation", explique Antonio Luongo, un serveur de 29 ans. "Les gens veulent du changement, des nouvelles têtes. En ce moment les gens du Sud se sentent abandonnés par les politiques. Les 5 étoiles n'ont jamais gouverné, pourquoi ne pas les laisser essayer ?"

Bagnoli a longtemps été le poumon économique de la région grâce à un site sidérurgique florissant. Mais les usines ont fermé dans les années 1990, laissant seulement dans le paysage leurs hautes cheminées, comme un rappel quotidien de ce que la corruption et les politiques inefficaces ont fait à la ville.

"Nous attendons toujours la reconversion promise", explique Vittorio Di Capua, un ancien représentant syndical, alors que les plans pour redonner vie à la friche se sont succédé au fil des ans sans que rien ne change.

"Les politiciens ont fait tellement de promesses. Ceux qui avaient la charge de la reconversion ont volé tout l'argent", dénonce M. Di Capua.

- Revenu minimum universel -

La lutte contre la corruption a justement été l'un des principaux thèmes de campagne du M5S, ovni politique fondé en 2009 par le tonitruant Beppe Grillo, qui est devenu le premier parti du pays avec près de 33% des voix dimanche.

La promesse d'un revenu minimum universel a aussi fortement joué dans le Mezzogiorno défavorisé: le M5S est arrivé en tête dans pratiquement toutes les circonscriptions du Sud.

"Il y a un profond mécontentement (dans le Sud) en raison des difficultés économiques liées à la crise financière de 2008, qui se font toujours sentir", explique Leonardo Morlino, professeur de sciences politique à l'université Luiss à Rome.

L'Italie peine à se sortir de cette crise et même si elle a renoué avec la croissance, son PIB est toujours inférieur de 6% à ce qu'il était avant 2008. Et aucune région n'a souffert plus que celles du Sud.

En 2006, le PIB par habitant était de 34.000 euros dans le Nord-Est, mais seulement 18.000 euros dans le Sud, selon l'Institut national des statistiques (Istat).

"Le chômage des jeunes est très élevé dans le Sud, avec des pics à 40% dans certaines zones", ajoute M. Morlino.

A 28 ans, Chiara Lillo travaille à la Cité des sciences de Bagnoli, l'un des rares projets effectivement sortis de terre, qui éveille les enfants aux sciences dans une structure moderne installée le long d'un front de mer jonché de détritus.

- 'Capitalisé sur la frustration' -

"J'ai des amis, des connaissances, des parents qui sont sans emploi. Je connais beaucoup de gens qui se sont tournés vers le M5S pour cette élection", assure-t-elle.

Un autre argument du M5S a fait mouche: la promesse de réduire les salaires des politiciens et de redistribuer les richesses.

"J'ai voté pour les 5 étoiles parce qu'il y a trop de monde en politique qui gagne trop et fait trop peu. Notre argent finance leurs caprices et pas nos besoins", explique Daniela Lungo, 38 ans, coiffeuse à Bagnoli. "Nous espérons du changement, quelque chose d'autre".

Pour Roberto Saviano, auteur de "Gomorra", le M5S n'a pas vraiment proposé de solutions "au-delà des banales recettes de rationalisation des dépenses et les promesses génériques de lutte contre la corruption. Mais il a donné quelque chose de plus grand: des cibles à frapper. Il a capitalisé sur la frustration", a-t-il écrit dans La Repubblica.

Faute de majorité absolue au sein du nouveau Parlement, le M5S devra cependant trouver des soutiens au-delà de ses élus s'il veut gouverner, ce qui ne sera pas simple. Mais sa poussée historique lui donne des ailes.

"Le M5S a eu la chance d'avoir la colère de son côté. C'est la rage qui a produit ce résultat", explique ainsi M. Di Capua.

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