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L'auteure Judith Kerr fête son anniversaire et celui de son célèbre Tigre

L'auteure britannique Judith Kerr fête jeudi ses 95 ans, et son célèbre "Tigre qui s'invita pour le thé", son demi-siècle, deux anniversaires couronnant une vie consacrée à l'écriture et au dessin, pour cette réfugiée qui avait fui, enfant, l'Allemagne nazie.

Sophie et sa maman prennent le thé dans la cuisine quand on sonne à la porte. Un énorme tigre s'invite à leur table, dévore le goûter, boit tout ce qu'il trouve, puis repart, et ne revient jamais.

Depuis sa publication, en 1968, cette histoire a été racontée à des générations d'enfants, le livre se vendant à plusieurs millions d'exemplaires à travers le monde.

"C'était une histoire du soir que j'avais imaginé pour ma fille de trois ans", raconte la nonagénaire, cheveux gris bouclés et sourire espiègle, dans le salon de sa maison en brique du sud-ouest londonien, où elle a élevé ses deux enfants.

Le mari de Judith Kerr, l'écrivain et scénariste Nigel Kneale -aujourd'hui décédé- était en déplacement, et sa femme et sa fille "s'ennuyaient beaucoup" sans lui. "Nous espérions que quelqu'un vienne et j'ai pensé qu'un tigre serait assez sympathique", se rappelle-t-elle, inspirée par les "magnifiques" félins admirés au zoo.

On retrouve aussi dans ce livre les placards jaunes et blancs de la cuisine familiale, au rez-de-chaussée de la vaste et lumineuse maison où elle vit depuis les années 1960.

- Exil -

Née en Allemagne dans une famille juive, Judith Kerr est arrivée il y a plus de huit décennies à Londres, à l'âge de neuf ans, après avoir quitté Berlin précipitamment.

En février 1933, un policier anonyme appelle le père de Judith Kerr, Alfred Kerr, éminent critique de théâtre et dramaturge opposé au nazisme. "Mon père était cloué au lit avec la grippe et cet homme l'appelle et lui dit: +ils veulent confisquer votre passeport, vous devez quitter le pays immédiatement+".

Alfred Kerr mesure immédiatement la gravité de la situation et prend le premier train pour la Suisse, où le rejoignent quelques jours plus tard sa femme et leurs deux enfants, un jour seulement avant la prise de pouvoir des nazis.

Pour la jeune Judith et son frère, cet exil -la Suisse puis la France et enfin l'Angleterre- prend des allures d'aventure. Ce n'est que bien plus tard qu'ils réaliseront l'angoisse dans laquelle étaient plongés leurs parents, subitement sans ressources et terrifiés à l'idée d'être rattrapés par les nazis.

Judith Kerr a raconté cette fuite dans un roman autobiographique intitulé "Quand Hitler s'empara du lapin rose", un livre qui figure depuis des années au programme des écoliers allemands et a été réédité en France le mois dernier chez Albin Michel, plus de trente ans après sa parution à l'Ecole des loisirs.

Deux écoles primaires portent aujourd'hui le nom de l'auteure, l'une à Berlin, non loin du quartier de Grunewald, où vivait la famille Kerr, et l'autre à Londres.

Judith Kerr explique le succès du livre par le fait qu'"à l'époque de sa publication, les Allemands n'avaient pas réussi à parler du passé à leurs enfants". Le livre a été un "moyen facile" d'évoquer cette période.

- 'Optimiste' -

"Je suis vraiment désolée" pour les écoliers allemands ayant dû plancher sur le livre, ajoute-t-elle malicieusement - "j'ai toujours détesté écrire des dissertations sur des livres que j'avais lus".

A 95 ans, Judith Kerr continue de travailler, affûtant ses dizaines de crayons colorés, dans son studio installé au deuxième étage de sa maison, avec vue sur un immense parc.

Son prochain livre, "Mummy time", paraîtra à l'automne aux éditions HarperCollins qui ont aussi réédité "Le Tigre qui s'invita pour le thé" à l'occasion des 50 ans du livre.

L'écrivain s'intéresse aussi à l'actualité, s'inquiétant de la montée de l'extrême-droite en Europe et des conséquences du Brexit. "On pense que tout va bien et tout d'un coup, tout change", constate-t-elle. Mais elle reste "optimiste" après tous les dangers auxquels elle a échappés.

La famille réfugiée en Suisse avait appris que les nazis s'étaient rendus à leur domicile le lendemain de leur victoire dans les urnes. "Et me voici, 86 ans plus tard", déclare-t-elle. "Grâce à cet homme qui nous a appelé" et dont elle n'a jamais su le nom.

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