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L'écrivain centenaire qui galvanise les manifestants roumains

Lorsque les manifestants acclament le nom de Mihai Sora dans la nuit de Bucarest, les non-initiés sont surpris de découvrir un écrivain de 101 ans, à la silhouette fluette, devenu en quelques mois le porte-voix de la mobilisation contre les "dérives" du gouvernement.

Chapeau noir, vêtements sombres, on ne peut pas dire que cet homme discret cherche la lumière. Mais quand il se fraye un chemin dans la foule qui accuse le pouvoir roumain de vouloir museler la justice, les sollicitations pleuvent.

Courtois, il s'incline chaque fois qu'un manifestant vient lui serrer la main.

"Il symbolise le respect pour la justice et la vérité", s'enflamme Laurentiu Dumitrescu, 63 ans, ému après avoir échangé quelques mots avec lui.

"Son enthousiasme est contagieux", confie Tincuta, une économiste âgée de 51 ans, tandis que Georgiana Chesei, 36 ans, voit dans son engagement "une leçon pour les plus jeunes".

D'autres manifestants lui donnent du "Maestro !"

- Avec humour -

Le philosophe centenaire était jusqu'ici plutôt connu pour des essais au titre abscons comme "Du dialogue intérieur, fragment d'une anthropologie métaphysique" (Gallimard, 1947). Son compte Facebook rassemble aujourd'hui 100.000 followers qui se délectent de ses messages politiques pleins d'humour.

Et Mihai Sora juge désormais que sa place est dans la rue, aux côtés de ses compatriotes.

Depuis plus d'un an, la Roumanie a vu naître dans une partie de la société civile un vaste mouvement de protestation contre la réforme judiciaire que les sociaux-démocrates (PSD) ont entrepris de faire adopter en plusieurs volets, depuis leur retour au pouvoir fin 2016.

Selon leurs détracteurs, ces changements ont pour but de restreindre l'indépendance de la justice pour permettre aux élus visés par des enquêtes d'échapper aux poursuites.

Le gouvernement réplique qu'il veut corriger les "abus" des magistrats anticorruption.

L'homme fort du PSD Liviu Dragnea, qui vient d'être condamné à de la prison ferme en première instance, après un première peine de prison avec sursis en 2016, a multiplié les discours conspirationnistes, se disant victime d'un "Etat parallèle" qui souhaiterait renverser la majorité.

"Je suis venu pour être aux côtés de mon peuple qui souffre et qui veut que la justice prévale", lance Mihai Sora sous les applaudissements, lors de l'une des manifestations qui ont lieu quasiment tous les jours à Bucarest et dans les grandes villes roumaines.

- "Bouge, papy!" -

Quand il n'est pas dans la rue, il poste sur Facebook un sarcastique "rapport d'activité de l'Etat parallèle" ou le récit du soir où un gendarme lui a lancé, dans une manifestation: "allez, bouge, papy".

Lorsque M. Dragnea traite ses opposants de "rats", le centenaire assume cette appellation, créant le hashtag #JeSuisSobolan" (rat, en roumain).

Et d'adresser un appel à ses amis virtuels: "Chers rats, nous nous retrouvons ce soir comme d'habitude, l'été s'annonce chaud".

"Je suis un citoyen conscient de ses droits mais surtout de ses devoirs (...)", explique à l'AFP le philosophe.

"Ce qui m'inquiète le plus c'est le destin à long terme de ce pays", ajoute-t-il, déplorant les "dérives, tantôt à droite, tantôt à gauche" du pouvoir politique dans cette ancienne dictature communiste marquée par l'instabilité et les scandales ayant affecté ses dirigeants depuis le retour de la démocratie, fin 1989.

Mihai Sora est loin d'être un héros pour tout le monde: le sénateur social-démocrate Serban Nicolae le traite d'"arrogant" et de "stalinien", évoquant les années 1948-1949 où l'écrivain fut embauché au ministère --communiste-- des Affaires étrangères.

Né en novembre 1916, M. Sora a fait ses études en France, puis travaillé entre 1945 et 1948 comme chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris.

En 1948, il rentre dans son pays natal, devenu un satellite de l'Union soviétique, pensant n'y passer qu'une dizaine de jours. Le régime communiste l'empêchera de repartir.

Fils d'un prêtre dans un pays qui prônait l'athéisme, il fut à plusieurs reprises contraint d'abandonner son travail dans l'édition et a subi les rigueurs du régime totalitaire. "Pendant des années, confiait-il récemment, j'ai été surveillé, mon téléphone écouté et ma correspondance lue... Les dossiers de la Securitate (la police politique communiste, ndlr) me visant sont accablants".

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