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La diplomatie autrichienne à la croisée des chemins

Le nouveau chancelier autrichien Sebastian Kurz multiplie les déclarations de fidélité à l'UE et se rend à Bruxelles dès ce mardi mais son pacte de gouvernement avec une extrême droite eurosceptique et prorusse jette un doute sur le cap diplomatique suivi par Vienne.

Jean-Claude Juncker, le patron de la Commission européenne, et Donald Tusk, le président du conseil européen, seront en terrain connu en recevant mardi soir le jeune chef du gouvernement autrichien, qui fut ministre des Affaires étrangères ces quatre dernières années.

Mais que dire des ministres appartenant au parti d'extrême droite FPÖ qui représenteront leur pays dans les instances de l'UE ? La présence de responsables de cette mouvance à la fois aux postes-clés de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense est une première pour l'UE, dont l'Autriche assurera la présidence au second semestre 2018.

Ce sera sans doute "un équilibre particulier, pas facile" pour la diplomatie autrichienne, note Charles de Marcilly, de la Fondation Robert Schuman à Bruxelles. Avec plusieurs dossiers sensibles : la politique migratoire européenne, les réformes de la zone euro, les entorses à l'Etat de droit imputées à la Hongrie et à la Pologne, l'attitude vis-à-vis de la Russie.

Le programme présenté par l'ÖVP (conservateur, membre de la coalition au pouvoir) et le FPÖ est certes "pro-européen, mais sans enthousiasme", note Stefan Lehne, chercheur au groupe de réflexion Carnegie Europe à Vienne. Si Sebastian Kurz ne cesse, depuis sa victoire aux législatives d'octobre, de réaffirmer sa fidélité à l'UE, son gouvernement revendique "plus de compétences laissées aux Etats".

Une position qui est également celle de la Hongrie ou de la Pologne, deux pays réfractaires à l'approfondissement de l'intégration politique et économique au sein de l'UE.

"Vienne va-t-elle prendre le leadership de ces pays d'Europe centrale en faisant un Visegrad 5 ?" s'interroge Charles de Marcilly, dans une allusion à l'alliance régionale établie par quatre pays : Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie.

- Se "former" à l'UE -

C'est ce que semble espérer Budapest, où le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto a salué la formation d'un nouveau gouvernement autrichien qui "n'est pas otages des hypocrisies".

La ligne intransigeante en matière de politique migratoire de Sebastian Kurz, qui n'a pas attendu son alliance avec le FPÖ pour durcir le ton, est très proche de celle des pays de l'Est. Il juge "erroné" le principe des quotas obligatoires de réfugiés à l'intérieur de l'UE prôné par Bruxelles.

"L'Autriche risque d'être amenée à se définir contre l'Allemagne et la France tant sur les questions migratoires et que sur celles de l'Etat de droit en Pologne et en Hongrie", explique Charles Lichfield, un analyste pour la société de conseil Eurasia Group.

Les questions d'immigration et de sécurité des frontières sont cependant les seules qui rapprochent l'Autriche des pays de Visegrad, nuance Stefan Lehne, qui met en exergue les intérêts divergents de Vienne et de ses voisins sur "la liberté de mouvement des travailleurs de l'Est de l'Europe, les fonds structurels ou les questions de défense".

Le chercheur voit comme une bonne chose la prochaine présidence autrichienne de l'UE : "ce sera une formation accélérée à l'UE pour le FPÖ".

D'autant, juge M. Lichfield, que ce parti d'extrême droite a infléchi son euroscepticisme depuis l'élection présidentielle perdue par son candidat, Norbert Hofer, fin 2016. "Quand (l'ancien chef du parti britannique europhobe UKip, ndlr) Nigel Farage a promis aux Autrichiens un Brexit avec Hofer, ça a fait peur et sans doute contribué à faire perdre le FPÖ".

Le parti du nouveau vice-chancelier Heinz-Christian Strache n'a en revanche pas mis en sourdine ses accointances avec les Russes. Il y a un an, le FPÖ avait conclu un contrat de coopération avec le parti Russie unie du président Vladimir Poutine, en quête de relais parmi les partis populistes en Europe occidentale.

Cette proximité pourrait créer une méfiance à l'égard de l'Autriche, juge le quotidien Kurier : "Si les agences de renseignement occidentales nous jugeaient prorusses et ne nous font pas confiance, ce serait un problème".

Le FPÖ compte de nombreux partisans de la levée des sanctions européennes imposée à la Russie. Rossiïskaïa Gazeta, un quotidien gouvernemental russe, restait sceptique sur la perspective d'un futur soutien de Vienne : "Dans l'espoir de s'attirer les faveurs économiques de la Russie, certains Etats font mine (…) d'être prêts à lever les sanctions, mais se taisent" au moment du vote décisif.

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