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Laura Kovesi, une incorruptible roumaine à l'assaut de la fraude européenne

Assurée de devenir première cheffe du parquet européen, la magistrate Laura Codruta Kovesi tient sa revanche après des années à batailler en Roumanie contre les malversations de la classe politique, au point de devenir la hantise du gouvernement de Bucarest.

Cette brune tenace âgée de 46 ans a été pendant une dizaine d'années le fer de lance de la lutte contre la corruption dans l'un des pays de l'UE les plus affectés par la fraude financière, avant d'être limogée de la tête du parquet spécialisé (DNA) à la mi-2018.

Diabolisée par le gouvernement de gauche roumain, Mme Kovesi était entrée en résistance contre la refonte controversée du système judiciaire menée depuis plus de deux ans par le Parti social-démocrate (PSD) que ses détracteurs accusent de vouloir "contrôler la justice".

Elle s'était portée candidate pour diriger le nouveau parquet européen, qui verra le jour en 2020, alors que Bucarest affrontait les foudres de la Commission européenne pour sa réforme judiciaire menée au pas de charge.

Laura Kovesi a inspiré les milliers de manifestants roumains qui descendent régulièrement dans la rue depuis janvier 2017 pour "défendre l'état de droit", munis de pancartes portant son nom. Le travail de la magistrate a toujours été défendu par le chef de l'Etat Klaus Iohannis, à couteaux tirés avec le gouvernement.

- Entêtement -

Cette femme qui se décrit comme "têtue" avait dirigé le DNA entre 2013 et juillet 2018. Sous sa houlette, les procureurs avaient mis en examen 14 ministres ou ancien ministres, 43 parlementaires et plus de 260 élus locaux. L'homme fort du PSD Liviu Dragnea, longtemps considéré comme le politicien le plus puissant du pays, figure parmi ces derniers: il a été condamné fin mai à trois ans et demi de prison dans une affaire d'emplois fictifs et incarcéré.

Pas surprenant donc que la majorité ait tout tenté pour empêcher l'ascension de Mme Kovesi: l'ancien ministre de la Justice Tudorel Toader avait envoyé début 2019 à ses homologues de l'UE une lettre dressant un portrait au vitriol de la magistrate, tandis qu'une nouvelle juridiction disciplinaire a lancé contre elle des poursuites, toujours en cours, dans deux dossiers.

Des "affabulations (...) destinées à m'empêcher d'accéder à cette fonction" européenne, avait commenté la magistrate.

Une accusation récurrente porte sur des "abus" que Mme Kovesi aurait commis ou permis dans les enquêtes du DNA. Des allégations qu'elle réfute aussi, soulignant n'avoir "jamais enfreint la loi".

Les médias proches de la majorité l'accusent pêle-mêle d'être un "agent de la CIA" ou d'avoir reçu un million d'euros de pots-de-vin de la part d'un membre du milieu. Deux employés d'une société privée israélienne de renseignement, Black Cube, ont été condamnés en Roumanie pour une tentative de harcèlement de Mme Kovesi mais le nom du commanditaire de cette opération n'a pas encore été rendu public.

- "Fantassin" -

De telles campagnes d'intimidation n'ont fait qu'enhardir cette femme à la voix posée et au sourire timide, qui confiait avec humour à l'AFP sa réticence à ouvrir la télé ou les journaux, de peur de découvrir avoir "encore commis Dieu sait quel méfait".

Mme Kovesi ressemble à "un fantassin couvert de cicatrices, qui a essuyé des centaines de coups" et a prouvé "sa capacité à résister à la pression", estimait récemment l'écrivain et éditorialiste Cristian Tudor Popescu.

Championne de basket-ball dans sa jeunesse, "persévérante" et "ambitieuse", selon ses anciens entraîneurs, Mme Kovesi avait connu une ascension rapide: après avoir été chargée pendant neuf ans de dossiers de criminalité organisée au sein du parquet de Sibiu (centre), elle fut désignée Procureur général en 2006 pour un mandat de trois ans, renouvelé en 2009.

Alors que Bruxelles a plusieurs fois mis en garde Bucarest contre tout retour en arrière sur la justice, Mme Kovesi assurait dans une interview à l'AFP que "le courage des procureurs et leur volonté de mener à bien leur mission sont irréversibles".

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