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Les KELLYS, femmes de chambre espagnoles en révolte contre la sous-traitance qui a dégradé leurs conditions de travail

A force de manifester sous les fenêtres des hôtels, les "Kellys", femmes de chambre espagnoles, ont remporté plusieurs victoires et colporté en Europe leur revendication: en finir avec la sous-traitance du ménage qui les épuise et appauvrit. "On montre du doigt des hôtels en allant crier juste devant leurs portes +ici, on exploite+, alors ils ont un peu peur de nous", résume une porte-parole du mouvement, Myriam Barros, 40 ans.

Ces femmes discrètes que les clients des hôtels ne font qu'entrevoir quand elles poussent leur chariot dans le couloir se transforment en "guerrières", dit-elle, quand elles enfilent le T-shirt vert de militante. Le mouvement "las Kellys" - contraction de "las que limpian", en espagnol: "celles qui nettoient" - est né en 2014 sur Facebook. Une association s'est créée en 2016. Depuis "elles sont parvenues à rendre visible aux yeux de la société le travail très dur de plus de 150.000 femmes de chambre", applaudit Gonzalo Fuentes, du syndicat Commissions ouvrières.

Deuxième destination mondiale, l'Espagne a connu une nouvelle année record en 2018 en accueillant 82 millions de touristes étrangers.

Mais les Kellys jouent les trouble-fête.

Sur Twitter, la section madrilène s'adresse au vacancier: "Ne loge pas dans un hôtel où le ménage est sous-traité. Si tu ne le fais pas pour nous, fais-le pour toi car la qualité des étoiles n'est plus une garantie et l'hygiène n'est qu'apparente".

Depuis la réforme du code du travail de 2012, nombre d'établissements ont licencié leurs employées et confié le ménage à des entreprises "multiservices", dégradant considérablement les conditions de travail et diminuant les salaires de 40%, assure Myriam.

Employée d'un 4 étoiles de Lanzarote (Canaries), payée 1.600 euros par mois, elle-même se dit "privilégiée". Elle milite pour les collègues "externalisées" à travers le pays qui "nettoient plus de 400 chambres par mois en moyenne pour 800 euros nets" et risquent le renvoi quand elles protestent ou tombent malades.

Dans la station balnéaire de Benidorm (sud-est), "huit hôtels que nous avions dénoncés cet hiver ont dû nous donner deux jours de repos hebdomadaires au lieu d'un car l'inspection du travail les y a obligés", relève Yolanda García, 55 ans, porte-parole locale des Kellys, "mais on nettoie toujours en moyenne 25 à 27 chambres par jour, avec souvent quatre lits par chambre l'été".

Sollicitée par l'AFP, la Confédération espagnole des hôtels et logements touristiques n'a souhaité faire "aucune déclaration".

Au nom des Kellys, Myriam a reçu en mars, le prix "TO DO des droits humains dans le tourisme" au Salon du tourisme international de Berlin.

Début juin, deux femmes de chambre en grève illimitée à Marseille sont venues spécialement de France pour une action commune contre un groupe hôtelier espagnol.

Et dès 2017, les Kellys étaient allées dénoncer au Parlement européen la sous-traitance qui se généralise.

Sur la Place d'Espagne de Madrid, vous avez "ici un 5 étoiles où les femmes ne perçoivent pas 3 euros par chambre nettoyée, là un autre, doté d'ailleurs d'une très jolie piscine, où ce n'est même pas 2,5 euros", pointe Angela Muñoz, gouvernante de 56 ans pour qui il est impossible de faire le ménage à fond dans ces conditions.

L'an dernier, une délégation des Kellys a été reçue par le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy, peu avant son renversement. "Un peu pour nous faire taire, on nous a incluses dans une liste reconnaissant nos maladies professionnelles du bras", dit Myriam.

L'association attend de voir ce que fera le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez.

La ministre et la secrétaire d'Etat au Tourisme "se sont déjà réunies en différentes occasions avec les Kellys", indique une source gouvernementale, évoquant les "démarches engagées" pour réguler la sous-traitance.

En 2016, les socialistes - alors dans l'opposition - avaient vainement présenté une proposition de loi pour "garantir que les travailleurs en sous-traitance (...) bénéficient des mêmes conditions que s'ils étaient embauchés directement".

L'association, elle, rêve d'une "loi Kellys" qui interdirait l'externalisation du ménage. "C'est avant tout une chambre propre que le client loue", insiste Angela.

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