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Les Kosovars supplient l'UE d'ouvrir leur "cage"

Les Kosovars n'en peuvent plus de cet enfermement, de ces heures dans les consulats vécues comme des humiliations pour décrocher un visa pour l'Union européenne qu'ils sont seuls dans les Balkans à devoir se procurer.

Bien plus que les relations exécrables avec la Serbie, l'exemption de ces visas de visite de trois mois dans l'espace Schengen, est la principale question politique dans ce pays enclavé d'1,8 million d'habitants, dont 70% ont moins de 35 ans selon la Banque mondiale.

C'est aussi un sujet de conversation dans les bars de Pristina: comment aller en vacances au ski en Bulgarie, assister au mariage d'un ami en Allemagne, voir un parent malade en Suisse; Bruxelles remplira-t-elle ses engagements; combien de mois pour obtenir en ligne un rendez-vous; l'interminable liste des documents a-t-elle changé; quel consulat est le plus accommodant, le moins cher; quelle vexation faudra-t-il y subir...

- "Se sentir comme un criminel" -

Aulone Mehmeti, 29 ans, spécialiste des questions d'éducation dans un centre de réflexion de Pristina, se souvient de cette question déplacée: "Pourquoi n'êtes-vous pas mariée? Vous prévoyez de vous marier là-bas?"

Pourtant rôdé aux démarches, Visar Kuci, 35 ans, violoniste de renommée internationale a dû refuser en 2018 un concert en Allemagne. Il raconte ce "sentiment étrange" de se "sentir comme un criminel" en salle d'attente.

Le dramaturge Jeton Neziraj, 41 ans, a renoncé à présenter avec sa troupe sa pièce à Timisoara en Roumanie, en mai 2018. Il venait d'être désigné "Européen de l'année" par la représentation de l'UE à Pristina... Le message, il l'a ressenti ainsi: "Nous partageons les mêmes valeurs; continue de travailler mais reste où tu es, sois gentil!". Il dit se sentir enfermé dans une "cage".

Parmi 199 pays classés selon la liberté de mouvement offerte par leur passeport, l'index Henley n'en place qu'une vingtaine derrière le Kosovo, toujours pas reconnu par plusieurs dizaines de capitales 11 ans après sa proclamation d'indépendance. Le pays européen le plus mal loti, l'Albanie, est 85 places devant.

Découragée par l'épreuve administrative, Aulone Mehmeti explique avoir renoncé à des conférences. Dans les consulats, il faut "rester silencieux, gentil avec le vigile, prêt à répondre à des questions privées", "ils veulent vous humilier (...) pour que vous ne demandiez plus de visa", s'insurge Jeton Neziraj.

Ce refus d'obstacle est invisible dans les statistiques, avec 17.712 rejets en 2017 pour 61.754 visas Schengen accordés aux Kosovars, qui doivent dépenser pour ce viatique une centaine d'euros, soit le tiers du salaire moyen.

- "Je faisais confiance à l'UE" -

Entre ironie et désillusion, les Kosovars montrent leur ancien ministre des Affaires étrangères Bekim Cullaku, ouvrir une bouteille de champagne dans une vidéo de 2016, et annoncer une exemption d'ici "quelques semaines". "Un peu de patience!", les enjoint-il, extatique.

Le parlement européen s'est dit favorable à l'automne à cette exemption, estimant que Pristina avait rempli les 95 conditions requises, dont une impopulaire modification de frontière avec le Monténégro. Mais les États-membres ne semblent pas pressés de donner leur aval.

La corruption serait un obstacle? "Les autres pays des Balkans sont aussi corrompus, ont aussi de la criminalité, ne sont pas développés, sont instables politiquement...", rétorque Aulone Ahmeti. Et si les politiciens kosovars sont corrompus, "pourquoi l'UE collabore avec eux tout en isolant un pays entier?"

La cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a pu mesurer la colère des Kosovars en décembre avec des milliers de messages furieux sur son mur Facebook: "Cela fait des années que nous sommes isolés", "Où sont les droits humains pour le Kosovo? Honte à vous!",...

"Je faisais confiance à l'UE", soupire Labinot Tahiri, 38 ans. Chanteur populaire, ce député a protesté en rendant ses passeports privé et de service. Il ne s'attend pas à un déblocage "dans les deux ou trois prochaines années..."

Jeton Neziraj n'y croit pas plus: "ils nous considèrent comme des réfugiés ou des émigrants potentiels".

Le Premier ministre Ramush Haradinaj écarte ce risque et suggère une période de test: "Nous sommes un peuple dynamique", avec des citoyens qui "veulent voyager, faire du business, du sport, étudier" et "sont des clients pour (les) économies" de l'UE, dit-il à l'AFP.

"Cela fait longtemps que la jeunesse du Kosovo a perdu foi en son gouvernement. Elle perd désormais foi en l'UE", prévient Aulone Mehmeti.

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