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Russie: menacée de dissolution, l'ONG Memorial se défend au tribunal

L'emblématique ONG russe Memorial a appelé jeudi les autorités à abandonner les poursuites la menaçant de dissolution, à l'ouverture d'un procès symbolique des pressions contre la société civile devant la Cour suprême.

Cette affaire s'inscrit dans un contexte de répression croissante contre des voix critiques du pouvoir, avec notamment la fermeture de médias indépendants et d'ONG, et le démantèlement du mouvement de l'opposant emprisonné Alexeï Navalny.

Le Parquet réclame l'interdiction de Memorial International, structure centrale de Memorial qui coordonne le travail du réseau de la plus célèbre ONG russe, l'accusant d'avoir violé une loi controversée sur les "agents de l'étranger".

Plusieurs cofondateurs de Memorial étaient présents à la première audience, à l'issue de laquelle la Cour suprême a renvoyé le procès au 14 décembre.

A la sortie du bâtiment massif du tribunal, dans le centre de Moscou, des dizaines de personnes ont applaudi les défenseurs de l'ONG. Certains soutiens avaient apporté des roses pour l'anniversaire d'une des avocates.

"Nous allons continuer à nous battre pour prouver qu'une organisation qui aide les gens depuis 30 ans ne peut pas être fermée pour des raisons techniques infondées", a lancé une cofondatrice, Elena Jemkova.

Créé en 1989 par des dissidents soviétiques dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Memorial a commencé par documenter les crimes staliniens et le Goulag, avant de se lancer dans la défense des droits humains et des prisonniers politiques, deux activités désormais à hauts risques.

L'ONG s'est distinguée par ses enquêtes sur les exactions russes en Tchétchénie. Plus récemment, elle a mis en cause des paramilitaires de l'opaque groupe "Wagner" pour des crimes de guerre présumés en Syrie.

- "Crime de l'Etat" -

Plus de 200 personnes s'étaient réunies jeudi devant la Cour pour exprimer leur solidarité, certaines portant un masque noir sur lequel était inscrit "Memorial ne peut pas être interdit".

Pour Anna Borzenko, une professeure de 65 ans interviewée par l'AFP, ce procès est "un crime commis par l'État". Plus de 100.000 personnes ont signé une pétition en ligne réclamant l'abandon des poursuites.

Concrètement, le Parquet accuse Memorial International d'avoir enfreint à de multiples reprises la loi sur les "agents de l'étranger", un statut auquel il est soumis depuis 2016. Selon cette loi, les organisations qualifiées d'"agents de l'étranger" doivent afficher ce label avilissant sur toutes leurs publications.

Cherchant manifestement à prendre l'équipe de Memorial en défaut, un procureur a demandé jeudi à Mme Jemkova à partir de quelle date elle avait commencé à mentionner ce statut d'"agent de l'étranger" sur... ses cartes de visite.

Les avocats de Memorial ont assuré que l'écrasante majorité des publications de l'organisation comportaient cette inscription. Ils affirment que seul un petit nombre de documents a pu passer entre les mailles du filet mais que l'ONG avait déjà payé d'importantes amendes pour ces infractions.

- "Coquille vide" -

La date à laquelle la Cour suprême rendra sa décision n'est pas connue. Les avocats de l'ONG ne pourront pas faire appel devant d'autres tribunaux russes et redoutent que les jeux ne soient déjà faits.

"En Russie, quand les plaintes viennent de structures étatiques, en particulier du procureur général, la probabilité qu'elles soient satisfaites est très grande", a expliqué à l'AFP Grigori Vaïpan, un juriste défendant Memorial, jugeant que cette plainte était pourtant "une coquille vide".

Si les Européens et le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits humains ont appelé à l'arrêt des poursuites, le Kremlin a souligné que Memorial avait "depuis longtemps" des problèmes avec la loi russe.

L'un de ses responsables, Oleg Orlov, a expliqué mardi à l'AFP que la dissolution de Memorial International compliquerait "fortement" le travail de l'ONG en la privant de base juridique pour embaucher des employés, recevoir des fonds ou entreposer ses archives.

En principe, la Cour suprême ne peut pas interdire par une seule décision l'ensemble des structures de Memorial en Russie, car chacune possède sa propre entité juridique et il faudrait les fermer une par une.

Les membres de l'ONG craignent néanmoins que la justice ne trouve un subterfuge pour liquider l'ensemble du réseau.

Parallèlement, le parquet de Moscou a exigé la dissolution du Centre de défense des droits humains de Memorial, une entité qui fournit une assistance aux prisonniers politiques, aux migrants et aux minorités sexuelles.

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