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Mondial-2018: loin de Moscou, quand les supporters d'Ukraine font la guerre

Des supporters loin de "leur" stade: alors que des fans du monde entier s'apprêtent à affluer en Russie pour la Coupe du Monde, des ultras ukrainiens, déjà très actifs pendant la révolution du Maïdan, sont au premier rang du conflit armé dans le Donbass.

C'est une des facettes des liens entre football et sécurité: certains groupes de supporters ultras sont très hiérarchisés, et parfois au fait des tactiques de guérilla urbaines. C'est notamment vrai pour les groupes ultras ukrainiens, de tous les combats de leur pays depuis fin 2013.

Selon le décompte d'un site recommandé par des ultras du Dynamo Kiev, ultras.org.ua, un ultra du Karpat Lviv est décédé pendant les manifestations du Maidan, et 27 autres sur le front de l'Est.

- 'Pas la même histoire' -

"Ils sont intervenus et sortis de l'ombre à partir des premières violences policières", explique à l'AFP Rémy Garrel, enseignant et contributeur du site spécialisé dans le football des pays de l'Est, footballski.fr. "Ils disaient que pour les policiers, s'en prendre à des manifestants qui sont étudiants, voire des femmes ou des vieillards, c'est facile, mais que face à eux qui sont organisés et entraînés ce ne serait pas la même histoire."

"Ce qui m'a le plus fasciné, c'est leur fonctionnement comme groupe ultra, adapté à un évènement révolutionnaire", ajoute Olga Ruzhelnyk, doctorante à l'université de Nanterre spécialiste des mouvements ultras en Ukraine.

"Quand un groupe ultra suit un déplacement de son équipe, la violence fait partie de leur pratique, et ils fonctionnent de manière très hiérarchisée. Par exemple, comme les groupes se cherchent les uns les autres pour un affrontement, certains jouent le rôle d'espions", détaille-t-elle à l'AFP.

"C'était le même fonctionnement en 2013 et 2014: certains cherchaient les Titushki, des gens payés par le gouvernement pour frapper les manifestants, puis prévenaient d'autres qui venaient les affronter. D'autres encore s'occupaient de mettre en place des barricades".

- 'Exprimer vos idées nationalistes' -

Une des pires batailles de cette période a opposé plusieurs centaines de supporters du Dynamo Kiev à la police sur la rue Grushevskiy, aux abords de l'ancien stade du Dynamo, situé dans un parc juste de l'autre côté du siège du gouvernement ukrainien. Plusieurs dizaines de supporters ont été blessés, de même qu'un photographe de l'AFP.

"Ils avaient aussi appelé les supporters à rassembler leurs compétences, par exemple s'il y avait des fans carrossiers ou mécanos qui pouvaient venir réparer gratuitement les voitures endommagées" aux abords du Maïdan, complète Rémy Garrel.

Au total, "il n'y a pas un supporter du Dynamo Kiev qui n'a pas participé, d'une manière ou d'une autre", estime Olga Ruzhelnyk. Et face à la situation exceptionnelle, "un accord de paix avait été trouvé entre tous les groupes", y compris les pires rivaux, rangés derrière le drapeau ukrainien.

Car "les tribunes étaient l'endroit où vous pouviez exprimer vos idées nationalistes, dès l'époque de l'Union soviétique" et les supporters "ont pu faire évoluer leur manière de s'identifier, depuis le statut de supporter ou d'ultra à celui d'Ukrainien", poursuit la chercheuse.

L'engagement s'est poursuivi sur le front de l'Est de l'Ukraine, face aux forces pro-Russes. "Dans le Donbass, ils se sont engagés rapidement et en très grosse quantité", poursuit Rémy Garrel, garnissant notamment les rangs des très durs et très bien organisés bataillons de volontaires Azov et Aidar, plus craints de leurs adversaires que l'armée régulière ukrainienne.

Plus de trois ans plus tard, des centaines de supporters prennent encore une part active dans les affrontements dans le Donbass.

- Statut 'héroïque' -

Ce n'est pas la première fois que des supporters prennent les armes pour se muer en groupes para-militaires. Emmenés par Zeljko Raznatovic, dit "Arkan", des supporters de l'Etoile rouge de Belgrade se sont mués en une milice ultranationaliste appelée "les Tigres", dont de nombreux témoignages rapportent les exactions en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. Arkan lui-même est mort abattu en janvier 2000.

En Ukraine, les supporters actifs pendant la guerre ont acquis un statut "héroïque", selon Olga Ruzhelnyk, ce qui permet "à beaucoup d'entre eux d'envisager une carrière politique". Bien loin des tribunes de stades de foot.

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