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Mort d'Elizabeth II: dans les médias, gare à l'overdose

Directs interminables, commentaires en boucle, autres actualités éclipsées... La couverture médiatique titanesque de la mort de la reine d'Angleterre peut avoir un effet repoussoir au moment où de plus en plus de gens se détournent déjà des infos, préviennent des spécialistes interrogés par l'AFP.

"On voit déjà des critiques sur cette couverture", note Nic Newman, de l'institut Reuters pour l'étude du journalisme, rattaché à l'université anglaise d'Oxford.

Et ce constat est encore plus vrai ailleurs qu'au Royaume-Uni, puisque la disparition d'Elizabeth II a un écho mondial.

"Les médias australiens avaient-ils vraiment besoin d'une couverture aussi démente?", se demandait lundi "Media Watch", émission d'analyse des médias de la chaîne de télévision publique australienne ABC, quatre jours après le décès de la reine.

"C'est dingue, on entend les mêmes choses sur toutes les chaînes au même moment", s'énerve Marie-Dominique, octogénaire française assidue des chaînes info. Comme elle, nombre de téléspectateurs américains s'indignent sur Twitter que cette actualité ne laisse que peu de place aux autres.

- Fatigue -

Au Royaume-Uni, "nous avons été surpris du niveau auquel les médias internationaux se sont intéressés à cette histoire", reconnaît Nic Newman.

"C'est le type d'événements qui illustre le cercle vicieux de l'information: on ne peut pas ne pas le traiter mais tous les médias le traitent de la même façon. Et que nous en reste-t-il au final?", s'interroge le journaliste français David Medioni, directeur de l'Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès.

Il a codirigé une enquête parue début septembre qui met en lumière la "fatigue informationnelle", sentiment de stress et d'épuisement dont disent souffrir 53% des sondés français, bombardés d'informations sur de multiples canaux.

Publié mi-juin, après des sondages dans une quarantaine de pays, le rapport annuel de l'institut Reuters arrive à une conclusion similaire: face à une actualité jugée déprimante, près de quatre sondés sur dix (38%) assurent qu'il leur arrive d'éviter délibérément les infos, contre seulement 29% en 2017.

Près de la moitié (43%) se disent rebutés par leur caractère répétitif.

"On s'attend à ce que ce phénomène d'évitement monte" dans les jours prochains concernant la mort de la reine, estime Nic Newman, auteur principal du rapport.

"Cet emballement médiatique, le fait que tout le monde embraye - les réseaux sociaux, les télés, la presse, les radios -, amplifient le sentiment de trop-plein" déjà latent, renchérit David Medioni.

Pour autant, l'intérêt du public pour une telle nouvelle est réel.

Partout dans le monde, les audiences télé ont été fortes à l'annonce du décès. Et sur Twitter, un total inédit de 46,1 millions de messages sur ce sujet ont été publiés entre jeudi et mardi (avec un pic de 1.800 tweets par seconde jeudi soir), selon la plateforme spécialisée Visibrain.

Mais, une fois passée l'émotion initiale, "le défi pour les médias est de trouver le bon équilibre", selon M. Newman.

- "Infobésité" -

"Le sujet, c'est la question de la quantité", abonde M. Medioni. Quand les médias "épuisent tous les angles jusqu'à la corde, on peut se retrouver à la fin de la journée avec le sentiment de n'avoir rien entendu d'utile ou d'intéressant".

S'il déplore "un manque de réflexion collective des médias", l'expert français pointe aussi "un rapport addictif" du public à l'info, qu'il nomme "infobésité".

"On a des menus Big Mac XXL d'information. On sait que c'est mauvais, car on ressent une forme d'épuisement, mais on continue à s'en nourrir, sans savoir comment s'arrêter", dit-il.

"En sortir n'est pas qu'un enjeu pour les médias et la démocratie, c'est un enjeu de santé publique", assure M. Medioni.

Et les premiers intéressés, les journalistes, ne sont pas épargnés.

Dans une tribune publiée en juillet par le Washington Post, la journaliste américaine Amanda Ripley avouait éviter les infos ces dernières années (un "secret vaguement honteux").

Pour elle, la profession doit changer sa manière de travailler, en donnant plus de place à l'espoir et aux solutions, comme par exemple dans la couverture du changement climatique.

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