Accueil Actu

Un jeune réalisateur russe filme "Une vie à l'étroit" dans le Caucase

"Testona, une vie à l'étroit" est une plongée au coeur des convulsions du Caucase russe, une région ignorée du cinéma, oeuvre d'un jeune réalisateur d'une maîtrise stupéfiante pour un premier film.

L'héroïne de "Tesnota", en salles mercredi, est une jeune fille de la minuscule communauté juive qui refuse de se laisser enfermer.

Le film s'ouvre sur son visage, coincé sous la voiture qu'elle répare dans le garage de son père à Naltchik, "capitale" de la république russe de Kabardino-Balkarie.

Le sentiment d'étouffement d'Ilana au sein de sa propre famille, de sa communauté, sur ce territoire à des centaines de kilomètres de Moscou est le fil conducteur du premier film de Kantemir Balagov (26 ans), très remarqué au dernier festival de Cannes.

La vie de la famille bascule dans le drame le soir des fiançailles du fils, David, avec une jeune fille de la minorité juive, qui vit repliée sur elle-même dans un Caucase miné par la montée de l'islamisme depuis les guerres de Tchétchénie.

Dans la nuit, le jeune couple est enlevé par des malfrats kabardes qui réclament une rançon, un phénomène fréquent dans les années 90.

Dans une région où on se méfie d'une police corrompue, les parents vont tenter de faire jouer la solidarité, aidés par le rabbin.

Mais les dons, la vente du garage à vil prix ne suffiront pas à réunir la somme exigée par les ravisseurs. La mère décide alors de sacrifier sa fille rebelle, qui fume, s'habille en salopette, ne sait pas éplucher une carotte et dont l'amant est un jeune kabarde musulman.

Elle arrange son mariage avec une famille amie pour toucher l'argent de la dot et payer ainsi la rançon du fils adoré.

- 'On nous tolère ici' -

Doit-on se sacrifier pour sauver un proche ? C'est la question que pose Kantemir Balagov dans une zone où la solidarité de clan pèse encore lourdement.

Ilana refuse le marché et la rupture avec son petit ami. "On nous tolère ici. Il n'est pas de ta tribu", la sermonne sa mère.

Le cinéaste qui s'est inspiré d'un fait divers livre un constat très noir sur l'avenir de la cohabitation des communautés dans cette région.

Zalim, le jeune kabarde, semble aimer Ilana d'un amour sincère mais cache à ses copains son origine juive. Des copains, dont l'un regarde avec fascination une cassette de combattants tchétchènes égorgeant des soldats russes. "Ils font ce qu'on n'a pas su faire, défendre leur terre face à ces bouffeurs de bortsch", commente-t-il.

Balagov, né à Naltchik, filme au plus près les visages, en particulier celui d'Ilana, formidable Daria Jovner dans son premier rôle au cinéma, rendant palpable l'oppression des personnages par des cadrages serrés.

Dans ce Caucase aux maisons lépreuses et aux routes défoncées, le cinéaste, formé à l'école ouverte à Naltchik par le grand réalisateur Alexandre Sokourov, utilise une palette de bleus froids qui colle parfaitement à ce drame glaçant et universel.

Ce film est-il le signe précurseur d'une nouvelle génération du cinéma russe, après celle de Sokourov ("L'arche russe") et d'Andreï Zviaguintsev ("Faute d'amour") ?: "J'espère vraiment qu'elle va émerger. Mais je sais une chose: tout le monde se fiche des jeunes réalisateurs et en particulier lorsqu'ils viennent des confins (comme le Nord Caucase)", a regretté Balagov dans un courriel à l'AFP.

Sa prochaine oeuvre racontera le retour après la guerre à Leningrad (Saint-Pétersbourg) de "jeunes femmes qui tentent de recommencer une vie normale à l'automne 45".

À lire aussi

Sélectionné pour vous